Théorie et pratique

GEP, THÉORIE ET PRATIQUE

 La douleur accompagne chacun de nos pas, difficile de ne pas le reconnaître. Sa source en est multiple. D’une part elle s’origine dans tout ce qui réfère aux souffrances névrotiques ou psychotiques, dont traitent psychothérapies et psychanalyses. Mais d’autre part existe aussi une douleur normale, existentielle, liée à plusieurs facteurs :

 

  • « la béance constitutive de l’être humain » (Jacqueline COSNIER), cette fracture dont nous sommes porteurs, qui a permis la constitution du Moi et qui était le ticket d’entrée pour faire partie de l’espèce humaine; la solitude qui en découle, sans doute accentuée par les conditions mêmes de notre culture occidentale (Gérard MENDEL)
  • la frustration dûe au contraste entre nos désirs et la réalité, et au fait que, même une fois le désir comblé, nous nous retrouvons à nouveau avec le manque; enfin la conscience de la finitude et de la mort, qui renvoie certes à d’autres registres (abandon, castration), mais sans y être véritablement réductible, me semble-t-il.

Est-il de notre ressort, et dans nos moyens, de faire quelque chose pour cette souffrance-ci en nous appuyant sur l’expérience acquise dans le domaine psychologique ? Est-il possible d’envisager une sorte de travail prophylactique évitant que cette douleur psychique ne « s’extériorise » (BALINT) sous forme de maladie somatique, de passage à l’acte, ou d’assuétude à un quelconque bouche-trou, qu’il s’agisse d’alcool, de travail compulsif ou de tout autre objet auquel est accrochée la dépendance ?

 

Cette question s’est posée à l’auteur de cet article ainsi qu’à sa conjointe, elle aussi psychologue et psychanalyste. Nous disposions par ailleurs de divers secteurs de compétence qui nous inclinaient à chercher la mise au point d’une structure susceptible de (re)créer du tissu social soutenant. Nous avions en effet, parallèlement à notre pratique individuelle en cabinets, animé des groupes de « développement personnel » (principalement à base de Gestalt Thérapie) depuis les années 1980 ; et formé/supervisé des bénévoles dans diverses associations durant une dizaine d’années. Ces bénévoles, qui effectuaient un travail d’accompagnement aux personnes en fin de vie, ou aux couples en crise, intervenaient principalement sur un modèle inspiré de Carl ROGERS.

 

Stimulés par cette question, nous avons établi et animé des groupes expérimentaux, destinés à tester la possibilité de créer un réseau d’entraide à l’intérieur duquel chaque participant pourrait être alternativement écoutant et écouté, aidant et aidé. Ces quatre années expérimentales avaient surtout pour objectif de traiter la question du cadre nécessaire pour que cette écoute mutuelle ne dérive pas vers de la simili thérapie et garde sa spécificité d’accueil accompagnant, respectueux et non intrusif.

 

Une fois l’ensemble du concept mis au point et testé ainsi grandeur nature, nous nous sommes appliqués à étendre et faire connaître le plus largement possible ces groupes d’entraide psychologique (G.E.P., nom choisi pour cette structure). Après les quatre années expérimentales dans notre ville (Roanne, ville moyenne dans le département de la Loire) et les quatre autres années d’extension nationale, en début de neuvième année, 825 personnes avaient suivi cette formation et appliqué cette pratique. Ceci nous donnait un certain recul et des statistiques fouillées nous permettant de voir les points forts et s points faibles de ces groupes d’entraide psychologique.

 

Nous allons en brosser ici les grandes lignes, tout en sachant que les proportions de cet article ne permettront qu’un rapide survol, la présentation elle-même prenant une place qui ne laissera que peu de marge aux développements théoriques.

La formation préparatoire (1ère année)

 

La « Formation préparatoire » proposée aux nouveaux membres dure une année scolaire. Au rythme d’une fois par mois, durant 10 mois, les groupes se réunissent pour se préparer à cette pratique, ils sont stables ; il n’y a pas de nouveaux entrants en cours d’année (si quelqu’un quitte le groupe il n’est pas remplacé) ; ils sont animés par des « anciens », expérimentés dans le G.E.P., eux-mêmes formés et supervisés par des formateurs. Les entretiens d’entraide psychologique (EEP) ne commencent qu’à la fin de la première année.

 

Peut s’inscrire a cette Formation préparatoire toute personne qui le désire. En pratique un certain nombre de conditions effectuent une sélection et empêchent l’inscription de personnes lourdement pathologiques (nécessité de s’inscrire longtemps à l’avance, prises de risque à accepter : droit d’entrée à payer, questionnaire à remplir, s’engager à ne pas avoir plus de deux absences sous peine d’exclusion.

Plusieurs buts sont recherchés à travers cette formation :

 

1. être plus réceptif à ses propres éprouvés corporels et aux images qui y sont associées ;

 

2. être attentif aux attitudes non verbales d’autrui afin de ne pas se cantonner au seul registre verbal exploré dans les séances techniques ;

 

3. gérer le vécu émotionnel (le sien propre et celui de l’autre) en découvrant qu’on peut laisser place à diverses émotions sans pour autant se croire obligé d’être possédé par elles. Exemple : je peux être triste, retrouver certains vécus désespérés de mon histoire, et pourtant vivre autre chose et passer à d’autres registres émotionnels lors des exercices suivants ;

 

4. prendre l’habitude d’éclairer le vécu du présent à la lumière de souvenirs du passé ;

 

5. investir fortement le groupe comme lieu privilégié pour des expériences d’ouverture à soi-même et aux autres dans une ambiance de confiance. Le transfert d’une image archaïque de matrice contenante permet la contention provisoire de normes surmoïques individuelles contraignantes et par conséquent l’expérimentation, favorisée par l’apport des uns et des autres et par le type d’exercice proposé, de nouveaux registres interactionnels.

 

 

Les exercices, puisés à diverses sources (Gestalt, A.T., etc.), ou bien inventés par nous-mêmes, ont surtout une fonction métaphorique qui permet aux participants d’apercevoir dans une autre lumière certains traits d’eux-mêmes ou des autres. Il est difficile de faire sentir de quoi il s’agit si le lecteur n’a pas vécu lui-même ce genre d’approche.

 

Essayons tout de même, avec l’exemple suivant appelé « Porteur-Porté ». Invités à se choisir deux à deux, les gens s’assoient (par terre) dos à dos. Pendant une quinzaine de minutes, silencieusement, sans communiquer verbalement avec leur partenaire ils vont expérimenter d’être Porteur (s’allonger en avant entre ses propres jambes et proposer ainsi au partenaire une sorte de dossier sur lequel il va laisser aller son dos et sa tête) ou Porté (se laisser aller, presque couché, sur le dos de l’autre qui s’est penché en avant de son côté). La règle est qu’on est porteur ou porté quand on le sent, quand on le désire et, du fait de l’interaction, quand l’autre accepte de prendre la position complémentaire.

 

 

 

Ainsi dans certaines dyades verra-t-on l’un rester presque toujours Porteur et l’autre presque toujours Porté ; dans d’autres l’un et l’autre alterneront rapidement les positions ; dans d’autres encore les deux partenaires resteront immobiles osant à peine expérimenter d’être porteur ou porté.

 

Cet exercice va permettre de riches réflexions sur le style de chacun : porteur aux larges épaules qui prend trop de responsabilités; porté qui ne supporte pas d’avoir l’autre en charge; calculateur qui tient à un strict équilibre du temps et qui l’impose… ou qui n’ose pas l’imposer et est furieux; etc. etc.. À partir d’un exercice aussi simple que celui-ci chacun va pouvoir commencer à percevoir des éléments de son propre style personnel et interactionnel.

 

Éventuellement, d’ailleurs, ceci pourra déboucher sur une mise en question. Ainsi tel ou telle est peut-être en train de se dire qu’il est du genre à faire confiance aux autres, à pouvoir se laisser aller avec eux, etc. et découvrira qu’il lui est très désagréable ou très difficile d’accepter d’être porté… (A noter que d’autres exercices sont plus impliquants émotionnellement).

 

Au total les participants créent ainsi entre eux, peu à peu, des relations respectueuses, confiantes et dans lesquelles chacun s’efforce d’être le plus authentique possible, c’est à dire de s’exprimer en dehors des jeux de pouvoir ou de séduction, avec le but de dire, de mettre en forme au plus juste, le ressenti interne.

 

Un des éléments capitaux, auquel veillent les animateurs de groupe, est le suivant: on ne pousse pas les gens à changer ; chacun vit l’exercice proposé (ou décide de ne pas le faire) jusqu’au point où il peut ; qu’on découvre de grandes choses « profondes » ou de petites remarques banales, tout est considéré comme valable. L’idée, explicite, est la suivante : chacun fait du mieux qu’il peut au point où il en est, et le rythme de son investissement dans les exercices proposés relève de son propre choix. En revanche les animateurs veillent au respect des règles du jeu quant à la circulation de la parole, afin qu’aucun (même psychologue ou thérapeute dans sa vie professionnelle) ne s’érige en position de « sachant sur l’autre ».

 

L’expérience fait ressortir, tant dans les EEP (entretiens d’entraide psychologique) que lors des Journées, une sorte d’efficacité « paradoxale » de la prescription demandant de renoncer à vouloir changer l’autre ou à vouloir le pousser pour qu’il avance. Milton ERICKSON et d’autres thérapeutes paradoxaux ont montré que, dans l’équilibre entre les forces poussant au changement et celles amenant une résistance au changement, l’attitude de « bon sens » consistant à pousser l’autre vers le changement qu’il réclame suscite généralement une réaction inverse freinatrice de tout mouvement.

 

La proposition faite aux membres du G.E.P. représente une sorte d’alliance implicite avec les forces de maintien (« rassure-toi, je ne veux pas que tu changes, je veux juste t’accompagner dans ce vécu là ») qui libère paradoxalement les forces évolutives chez la personne ainsi traitée.

Plusieurs buts sont recherchés à travers cette formation :

 

1. être plus réceptif à ses propres éprouvés corporels et aux images qui y sont associées ;

 

2. être attentif aux attitudes non verbales d’autrui afin de ne pas se cantonner au seul registre verbal exploré dans les séances techniques ;

 

3. gérer le vécu émotionnel (le sien propre et celui de l’autre) en découvrant qu’on peut laisser place à diverses émotions sans pour autant se croire obligé d’être possédé par elles. Exemple : je peux être triste, retrouver certains vécus désespérés de mon histoire, et pourtant vivre autre chose et passer à d’autres registres émotionnels lors des exercices suivants ;

 

4. prendre l’habitude d’éclairer le vécu du présent à la lumière de souvenirs du passé ;

 

5. investir fortement le groupe comme lieu privilégié pour des expériences d’ouverture à soi-même et aux autres dans une ambiance de confiance. Le transfert d’une image archaïque de matrice contenante permet la contention provisoire de normes surmoïques individuelles contraignantes et par conséquent l’expérimentation, favorisée par l’apport des uns et des autres et par le type d’exercice proposé, de nouveaux registres interactionnels.

 

 

Les exercices, puisés à diverses sources (Gestalt, A.T., etc.), ou bien inventés par nous-mêmes, ont surtout une fonction métaphorique qui permet aux participants d’apercevoir dans une autre lumière certains traits d’eux-mêmes ou des autres. Il est difficile de faire sentir de quoi il s’agit si le lecteur n’a pas vécu lui-même ce genre d’approche.

 

Essayons tout de même, avec l’exemple suivant appelé « Porteur-Porté ». Invités à se choisir deux à deux, les gens s’assoient (par terre) dos à dos. Pendant une quinzaine de minutes, silencieusement, sans communiquer verbalement avec leur partenaire ils vont expérimenter d’être Porteur (s’allonger en avant entre ses propres jambes et proposer ainsi au partenaire une sorte de dossier sur lequel il va laisser aller son dos et sa tête) ou Porté (se laisser aller, presque couché, sur le dos de l’autre qui s’est penché en avant de son côté). La règle est qu’on est porteur ou porté quand on le sent, quand on le désire et, du fait de l’interaction, quand l’autre accepte de prendre la position complémentaire.

 

 

 

Ainsi dans certaines dyades verra-t-on l’un rester presque toujours Porteur et l’autre presque toujours Porté ; dans d’autres l’un et l’autre alterneront rapidement les positions ; dans d’autres encore les deux partenaires resteront immobiles osant à peine expérimenter d’être porteur ou porté.

 

Cet exercice va permettre de riches réflexions sur le style de chacun : porteur aux larges épaules qui prend trop de responsabilités; porté qui ne supporte pas d’avoir l’autre en charge; calculateur qui tient à un strict équilibre du temps et qui l’impose… ou qui n’ose pas l’imposer et est furieux; etc. etc.. À partir d’un exercice aussi simple que celui-ci chacun va pouvoir commencer à percevoir des éléments de son propre style personnel et interactionnel.

 

Éventuellement, d’ailleurs, ceci pourra déboucher sur une mise en question. Ainsi tel ou telle est peut-être en train de se dire qu’il est du genre à faire confiance aux autres, à pouvoir se laisser aller avec eux, etc. et découvrira qu’il lui est très désagréable ou très difficile d’accepter d’être porté… (A noter que d’autres exercices sont plus impliquants émotionnellement).

 

Au total les participants créent ainsi entre eux, peu à peu, des relations respectueuses, confiantes et dans lesquelles chacun s’efforce d’être le plus authentique possible, c’est à dire de s’exprimer en dehors des jeux de pouvoir ou de séduction, avec le but de dire, de mettre en forme au plus juste, le ressenti interne.

 

Un des éléments capitaux, auquel veillent les animateurs de groupe, est le suivant: on ne pousse pas les gens à changer ; chacun vit l’exercice proposé (ou décide de ne pas le faire) jusqu’au point où il peut ; qu’on découvre de grandes choses « profondes » ou de petites remarques banales, tout est considéré comme valable. L’idée, explicite, est la suivante : chacun fait du mieux qu’il peut au point où il en est, et le rythme de son investissement dans les exercices proposés relève de son propre choix. En revanche les animateurs veillent au respect des règles du jeu quant à la circulation de la parole, afin qu’aucun (même psychologue ou thérapeute dans sa vie professionnelle) ne s’érige en position de « sachant sur l’autre ».

 

L’expérience fait ressortir, tant dans les EEP (entretiens d’entraide psychologique) que lors des Journées, une sorte d’efficacité « paradoxale » de la prescription demandant de renoncer à vouloir changer l’autre ou à vouloir le pousser pour qu’il avance. Milton ERICKSON et d’autres thérapeutes paradoxaux ont montré que, dans l’équilibre entre les forces poussant au changement et celles amenant une résistance au changement, l’attitude de « bon sens » consistant à pousser l’autre vers le changement qu’il réclame suscite généralement une réaction inverse freinatrice de tout mouvement.

 

La proposition faite aux membres du G.E.P. représente une sorte d’alliance implicite avec les forces de maintien (« rassure-toi, je ne veux pas que tu changes, je veux juste t’accompagner dans ce vécu là ») qui libère paradoxalement les forces évolutives chez la personne ainsi traitée.

Eléments théoriques

 

Comment comprendre que ce simple accompagnement du vécu, à l’intérieur d’un cadre rigoureux, puisse amener ces résultats ? Il nous semble que l’on peut se référer à plusieurs points de vue et tout spécialement à M.BALINT, dans son concept de Défaut Fondamental, et à D. LAGACHE, dans ses développements sur les Mécanismes de Dégagement.

Voyons succinctement ce qui se passe pour l’écouté, lorsque l’autre l’accueille inconditionnellement, ne cherche en rien à le faire changer, et l’accompagne souplement dans les vécus qu’il exprime. On peut repérer les aspects suivants :

  • Sortie du sentiment de solitude (l’individu se sent enfin entendu)

  • Renforcement narcissique. Habituellement la personne trouve des interlocuteurs qui lui donnent des solutions, des conseils, des interprétations. Elle en déduit qu’elle-même est bien défaillante puisqu’elle ne voit pas ce que tous les autres lui renvoient et qu’elle se perçoit prise dans son problème, le ruminant sans pouvoir en sortir. Tandis qu’ici elle se trouve respectée dans son rythme, dans ce qu’elle ressent et dans ce qu’elle est. Son estime personnelle n’est ainsi pas diminuée

  • Renforcement du contenant psychique. L’autre reformule le problème sans peur, sans dégoût, sans surprise. Le problème est ainsi « contenu » par l’écoutant, ce qui soutient la possibilité pour l’écouté de le contenir lui-même sans panique. On pense, bien sûr, à BION expliquant le mécanisme de la constitution de l’appareil à penser : les éléments béta, contenus et formalisés par l’appareil psychique de la mère, reviennent à l’enfant sous forme d’éléments alpha et lui permettent de constituer peu à peu son propre appareil psychique, transformateur et formalisateur, désormais autonome, capable de mettre en pensée les sensations et vécus innommables. Et à ANZIEU, avec la mise en place du Moi-peau.

 

À noter, dans cette ligne, que parfois l’écouté ne perçoit ce qu’il vient de dire que lorsque l’écoutant le lui reformule. Expérience toujours surprenante pour le participant : il venait de dire telle chose et il ne l’avait pas vraiment perçue ni intégrée avant que l’écoutant ne la lui restitue.

 

L’écoutant peut assurer cette qualité contenante car il s’appuie sur le sentiment d’être contenu lui-même par le groupe, par la technique proposée (1), et par un cadre sécurisant et fiable (2). Il expérimente, par ailleurs, le fait que chacun a ses propres problèmes, ses souffrances, et ceci l’aide à mettre son vécu personnel dans une perspective dédramatisante.

 

Celui qui parle peut se libérer alors assez rapidement de la pression émotionnelle qui l’étouffe. Il déverse ce négatif dans le sein-toilettes (D.MELTZER. 1967) que l’autre accepte d’assurer pour un temps délimité. Une fois vidé tout ce noir, ce douloureux, il commence à pouvoir aborder d’un front plus serein les questions qui le travaillaient.

 

Le problème, reformulé par l’écoutant, délesté de sa charge émotionnelle excessive, peut désormais être vu « à distance » par l’écouté. C’est comme si le sujet pouvait voir ce qu’il expose via le regard en miroir de l’écoutant; ce dernier étant à distance, bienveillant, et moins concerné par la question, permet au partenaire de renforcer une partie observatrice désidentifiée du problème. L’écouté aperçoit que la totalité de lui-même n’est pas limitée à cette zone de souffrance, que son espace psychique est plus large, et que d’autres parties de lui peuvent être dégagées; il élargit son champ de conscience (3). II trouve par là même la capacité d’apercevoir des solutions ou tout au moins une certaine déprise libératrice. Même si le thème brûlant n’est pas résolu la personne apprend ainsi à coexister avec lui plutôt que d’en être envahie.

 

La pression interne qui découle de la coexistence avec cet aspect problématique pousse le psychisme à déboucher créativement sur une position méta. La condition de ce surgissement créatif est que l’individu puisse accepter de « rester avec » ce qui fait difficulté, sans évacuer dans un acte et sans se précipiter sur une « solution » trop marquée par les options conscientes.

 

On peut observer aussi que l’accompagnement, centré sur le ressenti, plutôt que sur les faits eux-mêmes, amène fréquemment un recadrage libérateur lorsqu’il est question d’un problème interactionnel. En effet dans tel ou tel entrelac relationnel, la personne, axée sur son propre vécu grâce à l’écoutant (au lieu de parler de l’enfant, du mari, etc.) aperçoit sa part personnelle dans l’interaction. Ayant vu celle-ci, elle dispose d’un certain pouvoir de faire changer quelque chose en elle-même plutôt que de s’acharner à faire changer l’autre, ce qui a fréquemment d’immédiates conséquences dans l’interaction.

 

Conformément à ce que propose BALINT dans le traitement du défaut fondamental, « II s’agit certes d’une relation à deux personnes mais dans laquelle un seul des partenaires compte » (4) ; le deuxième est entièrement au service du « bon ajustement ». Par conséquent tous les sujets porteurs d’une blessure au niveau de l’amour primaire bénéficient d’une façon capitale du type d’écoute et d’expérience proposée par le GEP. BALINT développe l’intérêt d’une position où l’écoutant ne se croit pas obligé d’avoir une action: « Tout cela signifie consentement, participation et implication, mais pas nécessairement action: il s’agit seulement de compréhension et de tolérance … » (5). Et d’expliquer alors que ceci favorise l’intériorisation et la psychisation. On se rappelle ici du « ne rien faire mais bien le faire ».

 

Terminons par la citation suivante de BALINT : « Sous l’influence du mode de penser médical actuel, les médecins ne se rendent pas compte de toute l’importance du simple fait que le patient puisse se plaindre (indépendamment de ce dont il se plaint) et ignorent les potentialités immenses et uniques contenues dans la relation médecin – malade qui permet aux patients ne fût-ce que se plaindre » (6).

 

En effet, BALINT souligne la tendance des médecins et des psys à vouloir faire taire la plainte des patients : pour les uns en l’organisant en une « maladie » repérable, pour les autres en interprétant à outrance. Interpréter sur un mode oedipien passe à côté de ce qu’il faut faire à ce niveau du défaut fondamental, du déficit dans l’amour primaire, où il s’agit plutôt de s’ajuster aux patients (7). A voir, bien sûr là aussi, Winnicott et ses écrits sur le rôle maternel.

 

En résumé, le fonctionnement des G.E.P. nous paraît se situer à la frontière entre un besoin social (où faire entendre sa souffrance « normale » sans l’organiser obligatoirement en une « maladie » acceptable médicalement ou étiquetable psychologiquement ?) et un besoin psychologique (restaurer les éraflures de son contenant psychique, retrouver ses capacités d’internalisation et de mise en pensée, retrouver par là son pouvoir d’autonomie et d’auto-direction). Cela nous semble ne pas venir en rivalité avec les approches psychothérapiques ou médicales mais au contraire représenter un utile complément. Moins inquiet dans l’abord de sa vie psychique et émotionnelle le participant G.E.P. hésitera d’autant moins à faire une demande auprès du psy ou du médecin, quand il le sentira nécessaire.

 

Habitué à donner et recevoir de l’entraide, il sera aussi un ferment social propre à diffuser plus de tolérance, de respect de soi-même et d’autrui, et de prise en compte de la vie affective et psychique

Notes

  1. Naissance à la vie psychique. Page 245

     

  2. « Le cadre n’admet pas d’ambiguité… « . J.Bleger. page 263

     

  3. D.Lagache, in Fascination de la conscience par le Moi. Page 42 :  » …Ie sujet se prend pour tel Moi, dans tel rôle, telle identification. « , et page 44 :  » Le sens de l’effort analytique doit être (…) de dégager la conscience de l’emprise du Moi. C’est dans le mouvement même de cette désaliénation que la conscience est « rendue à elle-même », pour s’aliéner à nouveau, car il est dans son essence de s’aliéner, mais elle le peut dorénavant et de plus en plus dans la voie de la présence et de la communication authentique. « 

  4. Le défaut fondamental. Page 36

     

  5. Souligné par Balint. Le défaut fondamental. Page 197

     

  6. Souligné par Balint. Le défaut fondamental. Page 148

  7. Balint. Le défaut fondamental. Page 103 :  » L’objet, devenu dès lors un partenaire, est ainsi amené à supporter qu’on le considère comme allant de soi pendant une courte période, c’est à dire à n’avoir que des intérêts identiques.  » ; puis page 151 à propos de Winnicott :  » Tout manque « d’ajustement » peut alors rétablir le faux Moi si efficace dans sa fonction de « gardien » au détriment du vrai Soi »

BIBLIOGRAPHIE

 

BALINT. M., Le défaut fondamental. PAVOT, PBP Paris, 1977

 

BLEGER. J., Psychanalyse du cadre psychanalytique, in Coll., Crise, rupture et dépassement. DUNOD. BORDAS, Paris, 1979

 

CICCONE. A., LHOPITAL. M., Naissance à la vie psychique. DUNOD, Paris, 1991

 

GRINBERG.L. et coll., Introduction aux idées psychanalytiques de Bion. DUNOD. BORDAS, Paris, 1976

 

LAGACHE.D., Fascination de la conscience par le Moi. ln « La Psychanalyse ». Vol 3. PUF, 1957

 

PARUTION

 

Article de la revue  » Etudes Psychanalytiques » .DE BOECK.UNIVERSITE.  2000