Le Moi-peau
Didier Anzieu

présenté par Katia Varoqui
Didier Anzieu est normalien, agrégé de philosophie, docteur en psychologie, auteur d’une thèse sur le psychodrame analytique et d’une thèse d’Etat sur l’auto-analyse.
Précédé par un article en 1974, « le Moi-peau » est paru en 1985. Anzieu y développe avec une très grande rigueur son concept de représentation primaire et métaphorique du Moi, étayée sur la sensorialité tactile et s’élaborant sur un fantasme de peau commune avec la mère.
Esther Bick avant lui avait développé un concept de peau psychique.
En 1930, Hermann avait découvert la pulsion d’agrippement chez les nourrissons.
En 1943, Winnicott affirmait qu’un bébé n’existe pas.
En 1958, Harlow communiquait ses expériences sur les singes rhésus qui préfèrent une peluche chauffée à un biberon, et Bowlby faisait paraître un article sur l’attachement dont il formulera la théorie en 1961. Le besoin d’attachement était reconnu comme inné et non dérivé du besoin d’alimentation.
D’autres observations par d’autres thérapeutes bien sûr avaient été faites sur l’interaction bébé-environnement.
Depuis les années 70, les pathologies narcissiques et d’états-limite sont devenues fréquentes en cabinet et la théorie du Moi-peau a apporté un nouveau concept pour les comprendre et adapter la cure à leur psychisme.
Les états-limite mettent en évidence des distorsions spécifiques du Moi, caractérisées par un manque de limites qui fait redouter l’émergence pulsionnelle et s’accompagne de troubles de la pensée.
Il s’agit de personnes qui ont subi des cramponnements et des décramponnements brusques et imprévisibles étant bébé. Or c’est la pulsion d’attachement qui, si elle est satisfaite, apporte au nourrisson l’élan intégratif du Moi. Les états-limite auraient un Moi-peau en anneau de Moebius où la différence entre extérieur et intérieur est confuse.
Freud le premier formulait que le psychique s’étaye sur le biologique. Dans cette lignée, le Moi s’étaye sur le Moi-peau.
Si tout se passe au mieux, au départ l’enfant et la mère forment une dyade, où le bébé est actif et où la mère est pourvoyeuse d’échos signifiants à l’enfant de leurs vécus à tous les deux. Le bébé perçoit que lui et sa mère sont dans une inclusion mutuelle et a ainsi un fantasme de peau commune avec elle. En fait, si cela se passe mal, il y a aussi un fantasme de peau commune, mais sa qualité n’est pas la même.
Le Moi-peau s’acquiert en intériorisant la peau commune ; pour cela, l’interdit du toucher est nécessaire.
D’autres enveloppes s’étayent sur des modalités sensorielles, telles que les enveloppes sonores, visuelles ou olfactives. Ainsi, l’enveloppe sonore emplie des sons de l’enfant et de l’environnement, préfigure la double paroi du Moi-peau.
La pulsion a besoin du Moi-peau pour pouvoir être figurée, localisée, qu’elle puisse éprouver sa poussée et se trouver un objet et un but réellement satisfaisant.
Anzieu attribue au Moi-peau huit fonctions, en précisant qu’elles ne sont pas gravées dans le marbre : celle de maintenance (étayée sur le holding, se tenir debout), de contenance (étayée sur le handling), de pare-excitation (sans laquelle il y a la peur de l’intrusion) , d’individuation (être unique) , d’intersensorialité (relier les différentes informations sensorielles), de surface de soutien de l’excitation sexuelle, de recharge libidinale (retrouver de l’énergie grâce à l’autre) et d’inscription des traces sensorielles.
Le Moi-peau se caractérise par une double paroi. Une paroi externe de pare-excitation et une paroi plus interne de communication ou de signification.
Cette double-paroi est analogue au cadre psychanalytique. Le pare-excitation renvoie à la règle d’abstinence, la surface d’inscription à la règle d’association libre. L’interdit du toucher fondateur du Moi-peau fonde également la psychanalyse.
Selon les pathologies, ces parois peuvent se coller (chez le narcissique par exemple) ou s’inverser.
On peut différencier deux types de contacts avec l’enfant : les contacts excitants à l’origine du masochisme et les contacts signifiants à l’origine du narcissisme. Pour ce qui est du masochisme, il peut être en lien avec le fantasme culpabilisant que pour avoir une peau à soi, il faut la prendre à l’autre.
Les personnes avec des Moi-peau défaillants élaborent des enveloppes de souffrance, ou d’angoisse (avec le traumatisme) ou d’excitation (particulièrement dans l’hystérie) ou des enveloppes musculaires ou des enveloppes d’agitation motrice et sonore.
Le dialogue avec le thérapeute, ou tout autre interlocuteur compréhensif, peut tisser une peau de mots qui rétablit une peau psychique contenante, filtrante et symbolisante, au moins momentanément.
J’ai été très impressionnée par ce livre dont je connaissais pourtant l’importance.
La culture et la rigueur d’Anzieu m’ont épatée.
Le chapitre sur les barrières de contact freudiennes et le travail de Paul Federn sur les frontières était ardu à lire et ne m’a pas passionnée ; mais j’ai beaucoup aimé que soit montré tout au long du livre combien la psychanalyse est une pensée toujours en construction, comme celle de Freud l’était déjà, avec des chercheurs qui s’appuient sur les œuvres de leurs prédécesseurs.
L’investissement de Didier Anzieu avec ses patients et la puissance de ses interprétations forcent mon admiration.
Enfin, il dit l’importance des métaphores, pointée par notre école et au cœur du rêve éveillé, pour que le Moi pensant puisse s’étayer sur le corps et sur les sensations et images corporelles.