VIVRE LA FIN DE CURE ENFANTS
Colloque de l’école AIDE Psy 16 janvier 2021
par Cathy Bonnard
Quand Pascale Lemay, Présidente de l’école AIDE Psy, m’a sollicitée pour intervenir et partager avec vous mon vécu de fin de cure avec les enfants, je me suis dit Youpi ! Mon enfant intérieur sautait de joie ! Ensuite, l’adulte a vite repris du pouvoir, je me suis rendu compte que cet exercice n’est pas aussi simple. Aussi, à la manière d’une séance TBSI, je me suis dit : « Quel serait le premier petit pas qui me permettrait d’avancer ?… ».
Je vous propose donc de commencer par le début, avant de parler de la fin de cure. Nous allons voir tout le chemin qui va mener à la fin de cure, de la création du lien, dans un premier temps. Puis, ce qui se joue pendant la cure avec les parents et l’enfant ; puis vous faire part de mon vécu de fin de cure.
CRÉATION DU LIEN
Comme on parle de fin de cure, je me suis posé la question du lien.
Ce lien établi avec les enfants est complètement différent de ce que je ressens quand je reçois des adultes. J’ai un pur plaisir à rentrer en lien avec les enfants, c’est comme une évidence dès toutes les premières minutes.
Florence Quinson, ma superviseuse, m’en fait souvent le retour dans mes supervisions : « Tu as la faculté de rentrer en lien fort directement avec l’enfant, dès la première séance ». Cette remarque m’a toujours interpellée car nous avons toutes et tous appris le cœur à cœur, le SA2 (« Système à Deux ») et la position basse.
Quand je lui ai demandé pourquoi elle le mettait en lumière, elle a répondu : « Tu es en lien avec ton enfant intérieur, c’est comme s’il voyait arriver un nouveau copain de jeu dans ton cabinet ».
Effectivement, je suis en lien avec les enfants comme si je retrouvais un copain de jeu pour les vacances. Je sais qu’on va bien s’amuser mais que, les vacances finies, on se quittera pour revenir à notre quotidien, un peu différent qu’au départ grâce à l’approche thérapeutique.
En séance, nous jouons comme si nous construisons des châteaux de sable, des choses à des fins thérapeutiques.
On dessine ou on imagine des pièces de théâtres, des scénarios, comme si nous étions des chevaliers, un héros, une maitresse, une maman… qui permet d’expulser les pulsions, les émotions, … et rejouer la situation autrement ou, du moins, plus sereinement.
C’est pour ça que, de manière spontanée, on peut se dire « bonjour », jouer ensemble et se dire « au revoir » avec toute la simplicité et la spontanéité de l’enfant.
En d’autres termes, il est plus naturel pour les enfants que pour les adultes de s’inscrire dans le moment présent, et de ne pas s’attendre à autre chose, projeter dans l’avenir.
Ce lien est établi avec l’enfant en prenant contact avec son enfant intérieur et aussi grâce au lien que le thérapeute tisse avec les parents.
Ce qui se joue pendant la cure avec les parents
Et oui, Il est difficile de concevoir un travail avec un enfant sans prendre en compte le fait qu’il soit accompagné, amené, voire malmené par son entourage immédiat, disons les parents dans la plupart des cas. Cette réalité des choses pose d’emblée la question de la demande.
On sait qu’une demande en Thérapie Brève Self Inductive (TBSI) est importante car, s’il n’y en n’a pas, on ne fait pas de séance à proprement parler.
Que demande l’enfant quand ses tuteurs viennent nous voir pour nous parler de lui, de ses symptômes, de ses problèmes scolaires ou tout simplement de leurs inquiétudes à son sujet ?
L’enfant se fait conduire chez un thérapeute parce que les parents sont souvent débordés par ce qu’il donne à voir ou à entendre. Le corps de l’enfant devient en quelque sorte la scène privée où son angoisse se déploie dans un langage qui échappe à sa compréhension ou à la compréhension de son entourage.
Il prend ainsi ses parents à témoin de son malaise et, de ce fait, il les renvoie chacun à ce qu’ils ont de vif dans leurs problématiques personnelles.
Souvent les parents ont honte ou sont mal à l’aise parce que le maître ou la maîtresse leur annonce que leur enfant ne travaille pas ou a un comportement non approprié, manque de respect, raconte des mensonges, use de violence, …
Bref, ils se révèlent parfois incapables de prendre son angoisse sur eux du fait que cette même angoisse entre en résonance avec un temps ancien de leur histoire qui se vit toujours au présent.
C’est alors que le lien avec les parents est crucial pour faire avancer le schmilblick comme dirait Coluche, du moins permettre à l’enfant de se dégager de cette charge qui d’ailleurs ne lui appartient souvent pas.
« Il nous en fait voir de toutes les couleurs. Il ne veut rien apprendre à l’école. Il est insolent, et il se fout de tout. On a tout essayé… »
L’importance de la valorisation est un enjeu crucial pour la suite de la cure. Souvent je leur dis : « Est-ce que votre enfant a été livré avec un mode d’emploi ? Alors imaginez, même quand on a un mode d’emploi pour monter un meuble Ikéa, ce n’est pas si simple. Et, en plus, il nous reste souvent une pièce dont on ne sait que faire. »
Les parents se sentent entendus, compris sans jugement, et cela permet de mettre en mouvement aussi bien les parents que l’enfant.
Et c’est justement quand ils sont capables de s’identifier au malaise de l’enfant que l’infantile entre en jeu et qu’on peut jouer autrement, apaiser l’enfant.
Ex : prise de conscience du papa de Louis, 7 ans, lors du premier rendez-vous avec les parents (motif de la consultation = mensonge).
« A qui votre enfant ressemble-t-il ? »
Le père prend la parole pour dire de manière gênée « à moi » !
Il ajoute : « Je me souviens que j’arrivais exprès en retard à l’école pour que tout le monde puisse me voir rentrer dans la classe et me dire bonjour ! »
Résultat : Cette prise de conscience a permis une mise en mouvement plus rapide au profit de la cure de son fils.
Ce qui se joue pendant la cure avec l’enfant
La tâche du thérapeute, nous dit Freud, consiste à reconduire au passé ce qui se vit comme actuel. Si les parents souffrent c’est qu’ils vivent comme actuel ce qui de leurs histoires particulières prend appui sur le réel de l’enfant pour surgir dans un discours intemporel.
Le thérapeute qui travaille avec un enfant doit être un véritable acrobate, en lien avec cette place qu’il a dans ces multiples transferts.
Pour Winnicott, le thérapeute est identifié à la mère, il voit la place de la mère dans les mouvements transférentiel des petits patients, il met l’accent sur la mère « suffisamment bonne ».
C’est ainsi que le thérapeute peut réintroduire aussi la mère, les parents, auprès de l’enfant afin qu’ils se laissent déborder sans que ce débordement soit vécu comme une déchéance de leur toute puissance.
Exemple d’Augustin, 7 ans
Jeu de rôle : construire la tour la plus haute la plus stable possible pour retrouver un cadre sécure à l’intérieur de lui.

On a vu ce lien particulier entre les parents, l’enfant et de ce qui se joue en séance.
Maintenant, je voudrais aborder le concept d’être un thérapeute sans vouloir, sans savoir, qui est typiquement approprié dans le cadre d’une thérapie brève pour enfants et, notamment, pour parler de la fin de cure.
Avec un enfant, comment concevoir que la longueur de la séance puisse répondre à des normes fixes ? On sait qu’une psychothérapie brève suppose une durée limitée de la cure, sa fréquence est cadencée de manière hebdomadaire mais le nombre de séances est difficilement prévisible.
A ce jour, j’ai réalisé des cures pouvant aller de 4 à 15 séances.
C’est d’ailleurs avec cette inconnue qui ne permet pas de répondre à la question des parents : « Vous en avez pour combien de séances ? », « Vous pensez qu’il en aura encore pour combien de séances ? » ou « C’est bientôt fini ? ».
Bizarrement, quand les changements s’opèrent, ce type de questions s’estompent, voire disparaissent définitivement !
Donc, quand on est thérapeute pour enfants, on est en mode « flex » tant sur la durée de la cure que pendant les séances. Tout est possible, tout peut arriver. Toujours prêt comme diraient les scouts !
On ne sait jamais comment la séance peut se passer et combien de temps la cure peut durer.
Cette inconnue avec cette posture en mode « flex » peut être un poil à gratter pour le thérapeute. Au début de ma pratique, je ne vous cache pas que j’éprouvais un certain stress : « Que va-t-il se passer ? Comment puis-je contenir cet enfant qui est en plein débordement et que lui faire faire pour travailler avec l’enfant à des fins thérapeutiques ? ».
En même temps, je me suis rendu compte au fil des cures que la situation d’incertitude, d’inconnu, faisait un lien avec un vécu infantile souffrant. Ayant eu peu de cadre transmis par mes parents, l’inconnu m’insécurisait comme si j’étais au bord d’une falaise, d’un précipice.
Aujourd’hui, c’est devenu un atout, une force, une ressource.
Lâcher, se faire confiance en suivant son ressenti !
Je peux donc remercier mes parents.
Si l’on revient au sujet initial de fin de cure, le mode « flex » est indispensable. C’est-à-dire suivre le mouvement en lien avec l’émotionnel de son enfant intérieur en ayant toujours le thérapeute en toile de fond garant du bon déroulé de la séance thérapeutique.
Comment s’aperçoit-on d’une possible fin de cure ?
Souvent, les fins de cure se marquent par l’émergence de changements de comportements rapportés par l’extérieur (parents, école) ou sur l’évolution des dessins réparateurs.
Exemple avec les dessins de Tom :
Première séance

Ce robot transpercé de missiles aux longs bras est propulsé dans l’espace et se désintègre
Dernière séance

Ce même robot possède maintenant des forces intérieures (triangles de couleur), une protection autour de son corps (contenant psychique). Il a été réparé par le médecin. Ses bras sont plus pratiques pour marcher car ils se sont raccourcis. Feu d’artifice de bien-être !
A la dernière séance, après avoir fini son dessin, Tom me dit : « C’est bon, je n’ai plus besoin de venir te voir ! ».
Ce type de fin de cure est complétement naturel. L’enfant a renforcé son contenant psychique pour voler de ses propres ailes.
Pour conclure, je me suis interrogée sur mon ressenti concernant une fin de cure. Si nous faisons jouer les parties, il y a une partie de moi qui est dans la joie que la cure se finisse car je perçois les enfants libérés avec un contenant psychique un peu plus consolidé, pouvant voler de leurs propres ailes. Et, en même temps, une autre partie contacte la tristesse de la coupure du lien.
Mais si nous mettons sur la balance les deux parties, le deuil du lien a le droit d’exister au profit de la vie et de la joie.
Si nous regardons la fin de cure du côté de l’enfant cette fois-ci, on peut s’interroger sur son ressenti de séparation ou d’abandon ?
En effet, la fin d’un travail analytique avec un enfant peut prendre différentes formes. Parfois l’arrêt de la cure correspond avec la fin du symptôme qui dérangeait l’adulte ou l’enfant (insomnie, énurésie…).
Quand un enfant a fini son travail avec le thérapeute, il sait quand il a terminé, et on peut noter que l’enfant quitte le thérapeute sans difficultés. Les vacances sont finies on se quitte pour retrouver grandis nos copains d’école ! Dans ce cas, le vécu de l’enfant n’est pas porté comme un sentiment d’abandon ou de séparation.
En revanche, il y a le cas où l’un des parents fait cesser le travail en cours de l’enfant chez le thérapeute, sans avancer de sérieuse raison. Souvent, ce qui motive cet arrêt, c’est lorsque l’un des parents n’est pas prêt à supporter d’éventuels changements de position chez l’enfant.
Arrêt de la cure du fait des parents
Exemple 1 : Les parents arrêtent inconsciemment la cure pour éviter de trop déstabiliser l’homéostasie de la famille : l’enfant cimentait leur couple. Au lieu de s’occuper d’eux, leur attention était portée sur les dysfonctionnements de l’enfant. S’il vient à trop bouger, le couple peut se casser, l’enfant faisait le ciment d’un couple.
Exemple 2 : Le frère change tellement après la cure que la sœur prend le relai du symptôme familial !
A ce moment-là, l’enfant peut éprouver de la souffrance abandonnique, un lien coupé.
Ce sera du coup pour cet enfant la fin d’une tranche qui, plus tard en étant adulte, pourra l’amener à reprendre un travail.