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Fiche de lecture

Terreur d’aimé et d’être aimé

Terreur d’aimer et d’être aimé

Vincent Estellon

présenté par Isabelle Daoulas

Vincent Estellon est psychologue clinicien, psychothérapeute, psychanalyste et professeur de psychopathologie clinique à l’université Paul Valéry de Montpellier. L’édition de son ouvrage est récente ; il dit s’être appuyé essentiellement sur sa clinique des états-limites et des borderlines, pour écrire : « Terreur d’aimer et d’être aimé ». Il fait également référence à de nombreux auteurs, notamment S. Freud, D. Anzieu, R. Roussillon, D. Winnicott, D. Widlocher, entre autres.

Le thème principal de ce livre s’articule autour de l’analyse centrée sur le lien, dont l’évolution, dans certains cas cliniques,  peut être mise en difficulté  pour le  patient et pour le thérapeute.

L’auteur fait un rapprochement entre la relation de couple et la relation patient-thérapeute. Il nous permet de visiter les enjeux inconscients possibles pour conclure que « dans le couple, comme dans l’analyse, c’est souvent dans une prise de distance à soi qu’un accès à l’humour devient possible. Et lorsque cette étape de partage succède aux seules logiques de détresse, d’emprise, de guerre ou d’indifférence, l’humanisation est à l’œuvre ».

Mais avant d’en arriver là, il nous amène à mettre en lumière comment une part, en nous, peut exister : part dédiée « aux affaires affectives », part pilotée par une grande difficulté (pouvant aller jusqu’à la terreur) à aimer et à être aimé et comment elle peut se manifester.

Cette problématique peut devenir invivable, en étant à l’origine d’angoisses de nature intrusive et abandonnique, de perte du sentiment de continuité d’existence. Il va même jusqu’à parler de « survie » qui peut pousser à se réfugier dans une prison lugubre, sans affect ni émotion, afin de se protéger d’une terreur : celle d’être anéanti par le lien avec l’autre, avec menace d’intégrité.

V. Estellon nous montre comment la psychanalyse œuvre pour permettre un « examen minutieux » des liens d’amour qui se tissent et se défont à l’âge adulte. Examen qui se fait en allant visiter les racines ancrées, mais aussi ce qu’il nomme les symptomatologies cliniques contemporaines comme la soumission au culte de la performance, le consommateur pressé, la difficulté à supporter la souffrance, l’attente, la perte, l’éloignement, le manque et l’absence.

Il s’appuie sur les travaux de D. Anzieu qui a travaillé sur le phénomène de la « scène de ménage » dans le couple et il est intéressant de lire l’étude faite sur ce qui se joue dans ce lien particulier. : « de l’illusion d’une peau commune et d’une « bulle symbiotique », l’autre peut devenir le dépositaire de certaines fonctions imaginaires, puis l’expérience de la déception avec une phase de désillusion et l’épreuve de réalité : l’autre est différent. »

Scènes dans lesquelles vont se mêler dans la plus grande confusion, les affects de haine, le désir de vengeance, mais aussi paradoxalement, un désir de reconnaissance et d’amour.

Dans cette confusion, un destin infernal peut naître : l’amour de la haine.

Le partenaire devient le dépositaire de toute la haine de soi, projeté en l’autre.

L’amour de l’autre est remplacé par la haine.

Le plaisir d’être ensemble est remplacé par la souffrance.

La souffrance qui enveloppe cette haine est conservée avec la rage du désespoir.

A la lecture de ce passage, qui n’est qu’une des formes de manifestation, on peut alors comprendre ce que peut représenter « la terreur d’aimer et d’être aimé ».

Cet éclairage nous emmène à faire un parallèle sur ce qui peut se jouer dans la relation thérapeutique et les difficultés rencontrées dans certaines cures, entraînant un éprouvé contretransférentiel particulier d’impasse, de sentiment d’impuissance avec une immobilisation de la cure possible.

Les exemples cliniques présentés nous montrent le lien, l’attaque du lien, la difficulté de lien, de délien : tous ces enjeux relationnels qui s’originent, se rejouent et témoignent de quelque chose de l’histoire de l’individu, voire du transgénérationnel, dans ce besoin vital de l’amour, aimer et être aimé.

Il nous montre que la relation patient-thérapeute peut se vivre autrement que dans  « l’idéal positiviste de l’alliance » et que le sujet peut être susceptible de vivre le thérapeute comme un « bourreau actuel », comme un « miroir négatif » de tous ses maux.

Désespoir, détresse, sentiment d’impuissance, haine, sidération et confusion : à cet endroit de l’ouvrage, l’auteur fait référence à R. Roussillon pour nous montrer l’importance de survivre, pour le thérapeute, à l’accueil et à la transformation de ces formes de désespoirs existentiels ; chose possible si le travail personnel du thérapeute lui a permis de les visiter.

Il insiste sur le fait que l’apprentissage de la clinique et du maniement du transfert ne s’opère pas sans erreur ni sans l’œuvre du temps.

Enfin, autour de la psychopathologie du lien dans la relation thérapeutique, l’auteur interroge cette notion de « soin psychique », dont il dit que le processus est bien différent que celui auquel on se réfère habituellement, celui du soin infirmier et du soin médical.

« « Tenir le cadre » comme on tient le cap, cela peut devenir en soi même le but, quand la tempête pousse au naufrage. »

 

Commentaires :

Si la majorité des recherches de cet auteur porte sur les situations limites et borderline, il n’en demeure pas moins que chacun peut reconnaître une part de soi dans ce qui est décrit. Pour le thérapeute, il s’agit de pouvoir travailler sur la manière dont se construisent et se manifestent les défenses autour du lien, à la lumière du lien transférentiel dans la cure.

Cette analyse du lien qu’il soit dans la relation thérapeutique, amoureuse ou toute autre relation,  me semble être une richesse indispensable à explorer.

Les exemples cliniques sont vivants et éclairants, et les références aux différents auteurs cités montrent que ce sujet alimente un thème indissociable de l’être humain.

À travers la lecture de cet ouvrage, j’ai pu identifier comment à partir d’un lien terrifiant issu de l’infantile, toute une vie relationnelle pouvait être impactée.

J’ai aimé ce livre, son contenu éclairant, sa profondeur, le style de l’écriture, les exemples cliniques, les citations choisies comme :

  • « Mieux vaut une fin terrifiante qu’une terreur sans fin », S. Ferenczi.
  • « Comme dans la relation avec le nourrisson, il s’agit de travailler avec les adultes à partir des affects, afin que les interactions entre patient et thérapeute restent plongées dans ce bain affectif sans lequel toute intervention analytique intellectuelle reste stérile », V. Estellon.

Ne retrouve-t-on pas ici une similitude avec l’approche du Rêve Éveillé ?