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Percevoir ce qu’est le rêve éveillé

Percevoir ce qu’est le Rêve Éveillé

Jean-Marc HENRIOT
Psychologue, Psychanalyste,
Fondateur de l’École AIDE Psy

Vivre un Rêve Éveillé dans le cadre d’une psychanalyse Rêve Éveillé, c’est être plongé dans une histoire, un événement, qui se déroule avec sa propre logique inconsciente ; si bien que l’analysant ne contrôle pas vraiment le scénario dans lequel il est situé.

Il y a des mouvements, des désirs, des impossibilités, des affects forts, des péripéties inattendues. Mais, alors même que la personne vit cette aventure subjective, elle la verbalise au fur et à mesure à l’analyste. Et garde donc ainsi « un pied sur la rive ».

Nicole Fabre a résumé cela par le sigle des « 3 V » : Voir, Vivre, Verbaliser. On pourrait d’ailleurs subdiviser le Vivre en « affects » et « mouvements » (mouvements porteurs des désirs et défenses conscients et inconscients).

À titre d’exemple voici brièvement un début de rêve éveillé d’une personne qui expérimente son tout premier Rêve Éveillé. Ne nous arrêtons pas au contenu mais voyons-en simplement la forme :

« Je vois une planète avec plein de piques autour, comme une boule, une grosse boule de piques. On dirait un peu comme de l’aluminium autour, avec des piques qui sont assez pointues ; et elle tourne, elle tourne, un peu dans tous les sens sur elle-même, pas autour de quelque chose. Elle se balance, de droite à gauche, c’est très irrégulier. Là, elle s’éloigne.

Je suis loin, très loin au niveau de l’univers, je flotte et je la vois toujours, et je la vois toujours en tout petit. Et là, j’essaie de voir ce qu’il y a ailleurs. Tiens, il y a des fruits, des poires, des pommes qui flottent, j’essaie de les attraper.

Là, je vois un trou noir qui est sous mes pieds. Et les pommes et les poires se font aspirer par le trou noir et moi je résiste. J’ai peur. Je regarde le trou noir aspirer , et je me fais aspirer moi-même. J’arrive à résister. Je dirais que j’essaye de m’accrocher le plus possible à quelque chose. Bon, on est dans le vide, mais j’essaye de m’accrocher à quelque chose quand même. Il y a le vide qui m’arrive au niveau des jambes.

Je continue à résister, et c’est comme s’il y avait deux personnes, moi qui me fait aspirer, et l’autre moi qui tire et qui essaye d’aspirer l’autre. Je suis double en fait. Je réussis à me délivrer. Ouf !

Le moi qui tire le trou noir se transforme en cheval et on galope dans le vide, dans l’univers. Je me sens bien, libérée, je rigole, je souris, je me sens forte. Mais là, le cheval m’éjecte, je me retrouve un peu assommée. Je me réveille petit à petit… … »

Arrêtons là ce début de Rêve Éveillé, bien représentatif de ce que nous voulons mettre en exergue. Constatons qu’il y a des mouvements, des désirs, des impossibilités, des affects, et que la personne semble à la fois prise dans l’expérience malgré elle, et à la fois s’efforce d’agir à l’intérieur de cette expérience, tout en la racontant à voix haute.

À quoi ceci peut-il nous faire penser ? Où trouverait-on des vécus similaires, et en quoi se différencieraient-ils ?

SIMILITUDES ET DIFFÉRENCES

1/ La rêverie imaginaire

Les mots « Rêve Éveillé » évoquent tout de suite la rêverie imaginaire. Plongé dans ma rêverie je m’imagine réaliser des désirs, des fantasmes ; les événements se plient à ce que je souhaite. J’ai gagné au loto, j’achète un château, etc…

Pas de risque de rencontrer, par exemple, un trou noir qui se mette à aspirer une partie de moi-même, ou autres événements de ce genre !

L’imaginaire, en tant que porte d’entrée dans le rêve éveillé et dans la rêverie, est le point commun. Mais il existe une grosse différence : la rêverie imaginaire manipule aisément et volontairement les images, d’une façon conforme aux désirs conscients, alors qu’en rêve éveillé on est presque obligé de voir et de vivre ce qui surgit là spontanément, et sur lequel on a peu de prise.

 

2/ Les tests projectifs

Là encore il y a des similitudes et des différences. Similitudes avec les tests projectifs : l’histoire que le sujet raconte, à partir d’une image du TAT par exemple, va parler de ce qui le concerne en profondeur, va révéler des thèmes inconscients, sans que la personne se rende vraiment compte de ce qu’elle exprime ici. C’est d’ailleurs parce qu’elle ne s’en rend pas compte qu’elle peut ainsi laisser s’exprimer son inconscient. Mais en racontant, elle n’a pas le sentiment d’être plongé dans du vécu, comme dans un Rêve Éveillé: elle exprime simplement une histoire.

Les Rêves Éveillés possèdent une indéniable dimension projective, mais ils sont pourtant plus que cela du fait de l’intégration affectivée du rêveur dans l’expérience qu’il décrit.

 

3/ L’hallucination

Exactement à l’inverse du cas précédent, dans une hallucination, un délire onirique, le sujet est totalement pris dans l’histoire, sans distanciation. Il vit le non-contrôle des images, le débordement onirique, les affects intenses.

La différence entre l’hallucination et le Rêve Éveillé tient au fait que ce dernier se déroule à l’intérieur d’un cadre et que la personne raconte, verbalise, transmet au fur et à mesure à son analyste. Par conséquent le patient est à la fois partie prenante, installé dans son expérience quasi hallucinatoire, et à la fois suffisamment distancié de celle-ci en la racontant à haute voix.

 

4/ La transe hypnotique

Milton Erickson possédait l’art d’entraîner son patient dans un monde imaginaire à part. Cette transe hypnotique lui permettait de donner des suggestions à son patient et de faire évoluer la situation symbolique dans lequel il était plongé.

 

Le Rêve Éveillé donne ce même sentiment d’être dans un autre monde, mais il est réalisé en pleine conscience, et se déroule dans une absence totale de manipulation symbolique de la part de l’analyste.

 

5/ Les images hypnagogiques

La survenue des images hypnagogiques pose une question intéressante. Au moment où l’on commence à glisser vers le sommeil, des images nous viennent, images non choisies, qui ne semblent pas avoir de logique. Ces images, quelquefois bizarroïdes, vont s’organiser progressivement et nous amener dans le sommeil, et probablement dans le rêve d’endormissement.

D’où viennent ces images, et comment se fait-il qu’elles surgissent ainsi, lorsque la pensée consciente commence à s’éteindre ? On peut penser qu’il s’agit là d’une sorte de pensée imagée primaire, qui se retrouve chez nous tous, dès qu’on commence à régresser. Une sorte de substrat, indispensable au rêve.

La différence avec le Rêve Éveillé c’est que, si l’on se mettait à raconter ces images hypnagogiques, on ne pourrait plus s’endormir. Par contre, nous aurions sans doute là une riche matière primaire à interpréter.

En conclusion

Nous voyons que le Rêve Éveillé présente des traits communs avec plusieurs autres expériences, principalement liées à la figurabilité, mais qu’il s’en différencie par un mélange très particulier, les « 3 V », Voir, Vivre, Verbaliser.

Or, cette expérience du Rêve Éveillé va permettre d’accéder à un espace interne de symbolisation et de traitement.

Illustration extrait du site https://pixabay.com

(Nous n’avons pas réussi à déterminer s’il y a des droits d’auteur. Merci de nous prévenir dans l’affirmative)