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Origines de la vie psychique et rêve éveillé

Par 22 janvier 2021Aucun commentaire

Origines de la vie psychique et rêve éveillé

Conférence 1993

par Jean-Marc Henriot

En réfléchissant à cette intervention, il m’est revenu un épisode d’il y a quelques années, du temps où j’étais en formation au GIRED. Lors d’un colloque Monique Aumage avait parlé du suivi d’un patient psychosomatique et expliqué qu’elle gardait sur son bureau le génogramme de ce patient, auquel tous deux se référaient de temps à autre. Vives réactions de certains Membres titulaires du GIRED : “Comment ? Mais ce que tu fais là n’est pas psychanalytique ! ” J’avais été rassuré à cette époque par la réaction sereine de Monique Aumage, suffisamment affirmée dans sa propre pratique pour n’avoir pas cédé au vertige consistant à donner la place à une théorie avant l’intuition clinique.

C’est alors que comme en écho à cet épisode, en préparant l’intervention d’aujourd’hui, je suis tombé sur un livre de René ROUSSILLON de 1991 (“ Paradoxes et situations-limites de la Psychanalyse ”) qui se terminait par un chapitre fort intéressant sur “ les situations limites ” et “ cas limites ”. Et j’y ai lu les phrases suivantes: “ Dans les situations limites de l’analyse, de manière ponctuelle ou plus durable (…) l’analyste doit prendre l’initiative de formuler des hypothèses reconstructives concernant les réalités historiques “ objectives ” , en soi, des attitudes et contre attitudes de l’environnement premier et ceci non plus seulement comme l’effet des projections de l’analysant mais bien plutôt comme ce à quoi il a été historiquement assujetti et qui continue, n’ayant pas reçu de statut topique véritable, de le hanter ”.

Voici donc un psychanalyste brillant qui explique comment cette construction est souvent nécessaire, et se révèle même être la seule démarche “ psychanalytique ” possible avec les états-limites. Au fond Monique Aumage avait une fort bonne attitude clinique dans ce cas précis, mais ne disposait peut-être pas de la rhétorique nécessaire pour la justifier théoriquement.

Ceci m’a fait penser alors au tiraillement qui existe entre nous, entre la pratique de la Psychanalyse RE avec son cadre spécifique d’un côté, et d’un autre côté les références théoriques de la psychanalyse non-RE. Ce que je crois c’est qu’il s’agit non pas de dévier notre pratique en fonction de repères théoriques issus d’ailleurs, mais d’utiliser cette recherche théorique issue d’ailleurs, pour comprendre pourquoi notre pratique a sa propre richesse.

Dans cette ligne, ce qui m’a paru important aujourd’hui, c’est de mettre l’accent, en paraphrasant D. ANZIEU, sur le “ contenant ” plutôt que sur le “ contenu ”. Nous nous sommes beaucoup penchés sur les Contenus, des RE, du processus de l’Analyse RE en général etc., et peut-être pas encore assez sur ce qui se passe au niveau du contenant, et en particulier de ce contenant très original que représente l’expérience du rêver-éveillé.

Définition

 

Essayons tout d’abord de trouver une définition du RE sur laquelle nous pourrions avoir un accord. Avant de donner celle-ci j’aimerais rappeler que le RE analytique n’est pas réductible au seul imaginaire. Il s’agit plutôt à mon avis d’une expérience particulière qui mêle imaginaire, affect et verbalisation. Cette expérience particulière suppose des pré-requis ; et ce sont les cas-limites qui nous faciliteront une réflexion sur les conditions psychiques permettant la possibilité de laisser survenir en soi des représentations et des affects en cours du RE.

Pourrions-nous reconnaître, comme point commun entre nous, la définition phénoménologique de l’expérience RE telle que la donne Roberto ROCCA dans le dernier numéro des Cahiers du GIREP ? Je la retranscris mot pour mot ici.

Faire un RE c’est

  • imaginer un espace, une scène
  • situer le propre corps imaginaire dans ce cadre.
  • Laisser courir ce qui surgit spontanément sur la scène imaginaire – ceci suppose une attitude passive face à sa propre imagination –
  • et maintenir en même temps une attitude active de la part du Moi qui vit le scénario.
  • Vivre tout cela, se laisser posséder par l’aventure jusqu’où cela est possible
  • et agir en même temps rationnellement,
  • en permettant un mélange de la logique de la vie réelle avec la logique particulière des contes de fées et des mythes.
  • Et raconter tout cela, simultanément, en paroles, en faisant attention à ce que le Moi narratif installé dans le processus secondaire, ne fasse pas avorter ce que l’imagination libre engendre.

On trouve donc dans cette définition, 1) l’image-le scénario, et les conditions de leur surgissement la passivité et l’activité ; 2) le vécu et l’affect ; 3) le mélange des niveaux logiques ; 4) la verbalisation et la question, à ce propos, du contrôle conscient, excessif ou non, sur ces images. Et ceci va me servir de trame, bien qu’un exposé de 3/4 h ne me permette pas d’aborder tous ces aspects.

Les conditions de survenue de l’image, de la symbolisation, d’une représentation interne

 

Quels éléments pouvons-nous trouver dans la théorie, ou les théories, là-dessus ? Je crois que nous pourrions d’abord parler d’un point capital, quant aux conditions de survenue de la symbolisation, c’est l’élaboration d’un sac psychique contenant et d’un cadre conteneur interne.

LE CADRE

BION

Pour Bion “ La personnalité du petit enfant est par elle-même incapable d’employer les données des sens; elle doit évacuer ces éléments dans la mère, en comptant sur elle pour faire tout ce qui doit être fait pour les convertir en une forme appropriée à leur utilisation en tant qu’éléments alpha ”.

Les éléments béta sont les vécus de l’enfant qu’il n’arrive pas à contrôler et à symboliser, “ les impressions sensorielles et les vivances émotionnelles ” – L’E n’arrive pas à représenter ces vécus, à leur donner du sens, à les contrôler, à les contenir. Ces éléments béta sont envoyés à l’intérieur de la M. La M, acceptant l’identification projective, et la confusion des identités que cela suppose entre elle et l’E, peut récupérer ces élément béta, les détoxiquer et les rendre à l’E sous forme d’éléments alpha. Eléments alpha qui sont : “ celles des impressions sensorielles et des vivances émotionnelles transformées en images visuelles, ou en images qui, dans le domaine mental, correspondent à des modèles auditifs, olfactifs, etc. ; ils servent à former les pensées oniriques, le penser inconscient de la veille, les rêves et les souvenirs ”.

Cette transformation des éléments béta en éléments alpha s’effectue grâce à ce qu’il appelle “ la capacité de rêverie ” de la mère. Prenons un exemple la M qui donne le bain à son E et qui lui dit : “ Mais ne t’agrippe pas comme ça, ne t’inquiète pas, je ne vais pas te noyer, je te tiens bien… etc. ” Cette M là est en train de mettre en action sa fonction alpha, qui comporte la figurabilité, c’est à dire elle se figure ce que l’E est en train de vivre, qui comporte l’affect, c’est à dire qu’elle ressent que l’E est paniqué par cela, et qui comporte une action et une verbalisation, c’est à dire de sécuriser l’E, de lui parler, de le contenir physiquement.

Nous avons là un exemple très simple de cette “ capacité de rêverie ” de la M, et de son fonctionnement alpha. C’est à dire figurabilité – affect – action/verbalisation, grâce à l’acceptation de l’identification projective qui mélange les identités, ce qui permet que la M peut, elle, récupérer les éléments béta de l’E et lui rendre, mais tranquillisés, non dangereux, capables d’être acceptés. L’E introjecte l’ensemble contenant-contenu, c’est à dire 1) les éléments qui sont désormais devenus alpha 2) et aussi peu à peu la fonction alpha maternelle. Bion représente graphiquement ce total contenant-contenu par les symboles d’un sexe féminin et d’un sexe masculin l’un à côté de l’autre, entre parenthèses.

 

L’E peut donc alors accéder à un vécu représentable qui lui permet de résider dans son corps en sécurité, et de traiter peu à peu ses pulsions et ses affects sans être désorganisé.

 

Il s’instaure, au fur et à mesure de l’agglomération interne des éléments alpha entre eux, un ensemble d’éléments alpha suffisamment nombreux pour adhérer les uns aux autres et former alors ce que Bion appelle la “ barrière de contact ”. Cette barrière de contact est une sorte de membrane semi-perméable entre le Préconscient-Conscient et l’Inconscient. Elle permet les premiers refoulements et est une condition du processus même de refoulement.

 

Donc quand l’E aintériorisé la fonction alpha de la M, il peut progressivement avoir lui-même une capacité de transformer les éléments béta, c’est à dire les “ choses-en-soi ”, les éléments bruts et improductifs, de les transformer en éléments alpha au lieu de les projeter à l’extérieur.

 

A ce 1er niveau, évidemment cela me fait penser à l’expérience du RE, avec sa figurabilité – ses affects – ses actions verbalisées. RE qui ressemble exactement à la M en train d’utiliser sa fonction alpha, ce qui permettra ainsi à l’E d’instaurer lui-même sa propre fonction alpha interne. Autrement dit, si on suit cette hypothèse, on pourrait penser qu’il y a un lien très étroit entre l’expérience du rêver-éveillé et les origines de la vie psychique. L’hypothèse serait que le RE pleinement réalisé est une “ bonne mère rêvante intériorisée et détoxiquante ”.

Ce qui rejoindrait le fait que pour nombre de cas que nous suivons réussir à faire une véritable expérience de RE est souvent le fruit de quelques années d’analyse RE d’abord. Analyse qui s’appuiera longuement sur les résistances diverses à cette expérience RE et sur ce que ces résistances révèlent des failles du psychisme, des failles du sac conteneur, des failles du traitement des éléments béta. Tout ceci se voit, soit dans les RE tronqués d’une de leur dimension, ou parasités dans une de leur dimension, un des 3 V (Voir-Vivre-Verbaliser), – ou alors, avec certains états-limites, des RE affolants parce que non suffisamment contenus.

 

Donc l’élaboration d’un sac contenant et d’un cadre conteneur interne, si on s’appuie sur la théorie de Bion, pourrait nous permettre d’entrevoir que l’expérience du RE elle-même a rapport avec une structuration des origines même de la vie psychique.

 

 

ANZIEU

On peut aussi s’appuyer sur la théorisation de Anzieu autour du Moi-Peau. Je ne vais pas développer, vous connaissez. Résumée à l’extrême on peut dire que le bébé lui-même représente l’enveloppe d’excitation c’est à dire qu’il est stimulé par ce qui lui vient de l’extérieur et de l’intérieur, et la M représente l’enveloppe de signification, c’est à dire celle qui est capable de donner du sens à ces excitations et de lui rendre.

 

L’évolution de ces enveloppes passe, suivant Anzieu, par deux types de fantasmes. D’abord le fantasme de fusion des deux enveloppes qu’il appelle “ fantasme d’inclusion ”, où il n’y a pas de différenciation entre la M et l’E. Puis un “ fantasme de peau commune ” c’est à dire où l’E commence à pouvoir s’apercevoir que la M est différente de lui, bien qu’il la fantasme comme ayant une peau commune avec lui. On pourrait dire qu’avec le fantasme de peau commune on est dans l’accès à un début de représentation d’un autre existant, et donc dans l’accès à une identification projective et dans la sortie d’une identification adhésive. Peau commune qui durant ce temps là a la double propriété des deux enveloppes c’est à dire excitation et signification, mais qui sont alors trop mêlées.

 

Et ensuite quand l’autre commence à exister comme une personne externe, à ce moment là il y a un basculement à l’intérieur, par introjection, de cette enveloppe de signification qu’est la M, et un décollement des 2 enveloppes, l’enveloppe de signification et l’enveloppe d’excitation, ce qui représente l’intériorisation du décollement entre la M et l’E.

 

Ce qui permet à Anzieu de différencier (dans l’article intitulé “ Cadre psychanalytique et enveloppes psychiques ” paru dans le “ Journal de la psychanalyse de l’E n°2 ”) deux types d’écrans : l’écran projectif qui est en somme la surface d’inscription et de signification, celle qui est à l’intérieur, la membrane qui est en rapport avec le vécu intérieur et les fantasmes ; et l’écran protecteur qui est en somme la surface d’excitation, le pare-excitation. Et les deux surfaces emboîtées forment la peau psychique qui va permettre d’avoir des représentations intérieures supportables et de garder un jeu souple entre l’intérieur et l’extérieur, puisque ces deux surfaces gardent une certaine distance. Je vous renvoie aux divers écrits sur le Moi-peau en ce qui concerne les pathologies que Anzieu découvre à partir d’une non différenciation suffisante entre les deux surfaces emboîtées, que sont l’écran projectif et l’écran protecteur.

 

Là encore tout ceci nous évoque l’Analyse RE, dans laquelle on peut retrouver cet emboîtement : d’un côté le cadre général de la cure, le cadre hors RE (le timing des séances, le nombre de séances, le cadre conceptuel de l’analyste, sa capacité à recevoir les choses, etc.) tout ça représente l’écran protecteur c’est à dire le pare-excitation, c’est à dire ce qui va permettre de protéger le RE et le patient lui-même lors de ses propres explorations. Cet écran protecteur est fourni par le cadre général de l’analyse RE.

 

Cet écran protecteur nous évoque aussi à nouveau Bion, lorsque celui-ci souligne que l’appareil contenant-contenu est sans cesse au cours du développement, et tout au long de la vie, soumis à des tensions internes. Bion (avant René Thom ?) parle de “ changement catastrophique ” et de la tension qui existe entre un contenant et un contenu, entre une idée et l’énoncé destiné à contenir cette idée ; et il a montré la nécessité d’un contenant adéquat face à la violence des formes de pensées nouvelles. Chaque idée nouvelle qui se développe menace, dans sa poussée expansive, de détruire le contenant psychique. D’où l’importance d’un contenant externe qui ne doit être ni trop rigide, ni trop flexible afin de fortifier le contenant interne et de permettre la progression de l’idée nouvelle.

 

ça, c’est typiquement Bion. Mais cela rejoint Anzieu comme vous le voyez.

Et bien alors, le 2ème écran, l’écran projectif serait le cadre de l’expérience RE elle-même à l’intérieur du cadre plus général.

La fonction de l’analyste dans tout ceci étant d’une part de garder sa sécurité interne, d’être le fond non intrusif sur lequel peut se développer le paradoxe de Winnicott de l’enfant “ seul en présence de la M ”, avec la capacité qui s’ensuit pour l’E, grâce à cette mère présente-absente de pouvoir commencer à jouer-penser par lui-même.

La fonction de l’analyste c’est aussi la capacité pour l’analyste à rester dans l’identification projective, à régresser à l’identification projective. Ce qui amène, au cours même du RE qu’effectue le patient, la question du mélange entre les deux membres de la dyade, et de savoir quoi est à qui.

 

Vécu d’identification projective, donc d’identification symbiotique, qui pose des questions importantes qu’on ne peut pas régler d’une phrase ironique ; et que Freud avait lui-même abordé lorsqu’il parlait dans la Métapsychologie en 1915 de “ l’Inconscient d’un sujet qui peut réagir directement sur celui d’un autre, sans qu’il y ait passage par le conscient ”. Un peu plus loin Freud insiste en disant “ descriptivement parlant le fait est incontestable ”.

 

Bion quant à lui souligne que : “ La relation entre les deux participants du duo analytique est d’une nature telle que, si l’un d’eux a une idée, on doit se demander ce que l’autre a fait pour la lui suggérer ”.

 

On pense aussi à Harold Searles qui parle du passage par la “ symbiose thérapeutique ”. Il est vrai qu’il travaillait avec des psychotiques.

Donc, cette fonction de l’analyste : 1) sécurité interne, 2) identification projective supportée, c’est à dire supporter une certaine confusion au niveau des identités. Peut-être aussi l’inscription écrite du RE que l’analyste effectue au fur et à mesure que le patient le fait, représente-t-elle le renforcement de la contention interne de cette expérience (entre autres significations possibles).

 

Quoi qu’il en soit le fait de différencier les deux surfaces, cadre global-cadre RE, écran protecteur – écran projectif, favorise l’écart entre ces deux membranes ; et le renforcement de la sécurité quant à un monde externe et à un monde interne. Cet écart permet la possibilité de penser et de rêver.

LA PASSIVITE ET L’ ACTIVITE

 

Deuxième point la problématique de la passivité et de l’activité.

Dire à quelqu’un de laisser monter ses images, c’est lui proposer une passivité-réceptive envers ses images internes, et finalement c’est lui proposer de se livrer au risque d’une certaine effraction pulsionnelle.

Et en même temps lui proposer que ces images soient organisées en scénario, grâce à un mouvement et à une activité à l’intérieur de ces images, permet au contraire une certaine emprise sur ces images désormais canalisées, et donc de ne pas être complètement effracté, figé, fasciné par la survenue d’une montée pulsionnelle.

 

En effet il est très important d’avoir une certaine emprise sur nos expériences pulsionnelles. La 1ère urgence de l’appareil psychique, telle que Freud l’explique, avant même de savoir si l’expérience est bonne ou mauvaise, c’est de savoir si on peut la saisir et la maîtriser.

 

D’ailleurs je cite Roussillon à nouveau, dans le livre évoqué précédemment “ L’expérience pulsionnelle effractive ne peut commencer à être “ bonne à représenter ” qu’à partir du moment où le sujet a pu assurer une première emprise sur elle, c’est à dire a été capable de la contenir, et de la localiser. Elle ne peut devenir une expérience du moi – donc représentée – que si elle a pu préalablement être subjectivée par l’emprise ”.

 

Et c’est vrai que le jeu lui-même, mettons le fameux jeu de la bobine, mais d’autre jeux aussi, suppose pour exister en tant que jeu un certain contrôle la bobine est lancée, mais la ficelle est retenue. S’il n’y avait plus de contrôle la bobine serait lancée à l’autre bout, le jeu de la bobine serait fini ; ou alors nous serions à un niveau nettement moins élaboré de jeu, celui de la spatule où c’est l’adulte, Winnicott en l’occurrence, qui fait fonction de ficelle, en ramassant la spatule et en la redonnant à l’enfant. Et dans le jeu de mordillage, évoqué par Grégory Bateson, ce qui fait la différence entre le mordillage et la morsure c’est que justement la pulsion est contrôlée, et reste à l’intérieur même du cadre du jeu.

Donc dans l’expérience même que nous proposons, celle du rêver-éveillé, nous proposons d’une part une passivité face à des montées pulsionnelles possibles et aux images dangereuses, et, d’autre part en même temps une activité , à l’intérieur même du cadre proposé par la passivité, qui renforce la possibilité d’emprise. Un des intérêts du mouvement en RE, et du scénario qui en découle, c’est justement ce jeu souple entre effraction pulsionnelle ou non, entre contenant et contenu. Un contenant qui reste un conteneur, suivant les termes de René Ka et qui n’est pas débordé par la montée de ces images et de ces vécus. D’où l’importance du mouvement et des scènes qu’il crée. Ce qui d’ailleurs nous fait penser à la réponse K, Kinésthésie, dans le Rorschach, qui est un signe de capacité à se situer dans une aire transitionnelle. Le défaut de réponse K, dans les psychoses, marque, entre autres, la non représentabilité de la pulsion et la défaillance des processus d’intériorisation représentationnelles.

 

Cette question du rapport équilibré et nécessaire entre passivité et activité, au cours de l’expérience RE, évoque aussi ce que Bion appelait le rapport entre fonction maternelle et fonction paternelle. Il y aurait une sorte de relation sexuelle primitive entre fonction-maternelle-contenante-passive et fonction-paternelle-contenue-active. L’attaque contre les liens, mécanisme important chez les psychotiques, selon Bion, porte contre ce rapport, interdisant finalement de faire co-exister harmonieusement contenant et contenu.

 

Ce qui nous fait penser aussi, toujours à propos des origines de la vie psychique, à l’hypothèse d’une position féminine primaire, hypothèse de M. Klein, qui serait en somme le substrat nécessaire pour l’identification introjective, pour la possibilité de récupérer, de se laisser envahir, de prendre à l’intérieur de soi la fonction maternelle contenante et du coup l’accès à la pensée. Tout ceci nous renvoie peut-être à la question du masochisme primaire et de sa capacité à transformer la mauvais en bon ; n’y aurait-il pas en effet intérêt à disposer d’un certain masochisme face aux vécus plutôt effractifs qui montent à l’intérieur de l’expérience RE ? Ce problème libidinal se pose à propos de la possibilité de lier ces vécus, et de les transformer ainsi de vécus “ mauvais ” entre guillemets en vécus “ bons ”.

 

Enfin dans le rapport entre passivité et activité un autre point fondamental est évidemment l’expérience du trouvé-créé de Winnicott.

Il me semble d’ailleurs apercevoir, et nous le verrons encore un peu plus loin, que toutes les expériences paradoxales dont parle Winnicott sont des expériences qu’on retrouve dans le fait même de faire du RE (cf dans la définition de Rocca, la co-existence de deux logiques). Seul-en-présence-de-la M ; trouvé-créé ; détruit-retrouvé.

 

Le RE est à la fois trouvé objectivement, par la passivité, les images qui montent ; et à la fois créé subjectivement. En somme une union de deux points de vue en apparence contradictoires et cette union des deux points de vue en apparence contradictoires peut être assez bien le représentant de la relation primitive avec la M : la passivité réceptive envers ses propres images internes reconstitue cette passivité réceptive envers l’image maternelle archaïque ; d’où d’ailleurs les difficultés à accepter cette passivité-réceptive et ce surgissement interne des images et des vécus pour les cas-limites, pour les carencés primaires. Réussir à faire de bons RE, dans leur dimension paradoxale “ trouvés-créés ” et du coup dans leur capacité à unir les deux points de vue d’une relation symbiotique primaire M-E, trouvé-créé, renverrait ainsi aux sources mêmes, là encore, de la constitution de l’activité psychique.

LE RYTHME

Voyons d’autre points, en rapport avec les origines de la vie psychique, qui nous amènent à penser que l’expérience du Rêver-éveillé, à l’intérieur de la cure RE est en elle-même intrinsèquement liée avec celles-ci.

Un des premiers points, c’est par exemple le rythme, la manière dont se gère le rythme à l’intérieur de l’Analyse RE.

Nous savons, bien sûr, l’importance du rythme et de l’adéquation du rythme entre la M et l’E ; les deux cas les plus dysfonctionnels, les plus pathogènes, sont justement les 2 cas où la M n’est pas en accord rythmique avec l’E. Soit intrusive, elle impose son propre rythme indépendamment du vécu de l’E ; soit carençante, c’est à dire pas assez présente, peu capable de suivre le rythme de l’E, trop absente. Durant tout un 1er temps, la M est obligée de réussir à s’adapter le mieux possible au rythme de l’E ; dans un second temps, peu à peu, cette harmonie des rythmes aura suffisamment rassuré l’E pour que 1) il se sente capable d’apprivoiser ses pulsions puisque celles-ci sont rapidement calmées par la M, et donc contrôlées, et pour que 2)progressivement dans une 2ème temps l’enfant puisse s’identifier au parent capable d’attendre passivement un temps suffisant et donc de supporter le différé. L’E a besoin d’abord d’assurer sa sécurité interne et celle-ci découle de toute l’illusion fournie initialement par la M qui permet ainsi à la fois de se faire confiance et de faire confiance dans un monde bon, monde externe ou interne ce qui ensuite permettra de supporter le différé.

Et là on a un réel problème, en psychanalyse, par rapport à la question du rythme. C’est à dire que le cadre, habituellement est relativement rigide, mettons une, deux, trois séances par semaine par exemple, d’un temps délimité, etc. Or dans un certain nombre de cas-limites, ou de patients qui ont été gravement carencés dans un rapport avec une M dysrythmique, ce cadre peut être traumatisant par lui-même D. Arizieu en a parlé dans l’Analyse Transitionnelle en montrant comment il était nécessaire d’adapter, de varier, de faire subir au cadre quelques distorsions pour l’assouplir et pour éviter de réitérer le traumatisme basal dans ces cas. Or nous disposons d’un cadre à double détente l’un qui est le cadre fixe, et celui-ci à mon avis doit être assez fixe (le rythme des séances, leur durée, les attitudes de l’analyste, etc.); et l’autre qui est un cadre flottant, un cadre mobile, qui est l’expérience du rêver éveillé elle-même. Cette expérience est peu à peu gérée par le patient qui, en somme, s’approprie une partie du cadre pour suivre, de plus en plus finement, son propre rythme. Les variantes du cadre que nécessitent les gens carencés au niveau primaire dans une psychanalyse classique, trouvent dans une psychanalyse RE, un lieu parfaitement adapté pour s’instaurer, qui est la partie flottante du cadre, c’est à dire l’expérience du RE elle-même.

Evidemment si le patient est complètement coupé de ses propres ressentis, de ses propres auto-érotismes qui devraient de lui servir de points d’appui et permettre qu’il puisse se sentir, se voir, s’entendre, sur la scène du RE, s’il n’a pas son propre rythme; s’il n’est pas en mesure de se baser sur ses messages internes, durant tout un temps l’analyste RE aura pour tâche de rappeler, de proposer, le RE en tant qu’expérience, en se basant alors sur sa propre respiration interne d’analyste. Mais dans un second temps lorsque le patient aura pu faire suffisamment l’expérience d’un rythme qui lui va, qui se rapproche de ce qu’il sentirait s’il était capable de le sentir, il sera peu à peu capable de suivre son propre rythme dans sa relation avec la production de ses propres RE ® des périodes plus intenses, des périodes plus lâches, qui ne seront pas toujours à comprendre en termes de résistance, mais aussi en terme de digestion du RE, d’appétit du prochain RE, et de capacité à être en accord avec son propre rythme.

Là nous disposons d’un élément structurel très intéressant, le cadre-gigogne.

Un autre élément intéressant, qui est interne au RE lui-même, c’est : quel va être le rythme du patient par rapport au déroulement du scénario, à l’instauration des images, au rapport avec ses images. Ce que j’ai vu assez souvent c’est que la patient adoptait envers son RE la même attitude que la M adoptait envers lui-même en tant qu’enfant. C’est à dire qu’au fond on retrouvait entre le patient et son RE, la mise en exergue de la relation entre des objets internes ® l’un étant la M, l’autre étant l’E. Et il y a des patients qui au niveau du RE lui-même seront dysrythmiques : soit impatient d’avoir des images et les pressant pour qu’elles se bousculent à toute vitesse, soit au contraire très lents, les laissant surgir à un rythme extrêmement lent qui pourrait ressembler à une reproduction de ce qui se passait entre la M et l’E.

Enfin un dernier point à remarquer sur cette question du rythme et de la partie du cadre qui appartient au patient lui-même, c’est que probablement nous avons là un élément majeur à certains moments de la cure, dans la possibilité de diminution de l’Envie du patient. Nous savons que l’Envie est un des points considéré par l’école anglaise comme les plus perturbants psychiquement, et le fait même qu’une partie du cadre, et non la moindre puisque c’est une partie considérée comme fondamentale, puisse être le propriété, pour bonne part, du patient, peut dans pas mal de cas lui permettre de dépasser l’Envie envers l’analyste qui serait censé être propriétaire du RE. Il y a là une évolution progressive qui se crée par le fait même de l’évolution de la cure et de la possibilité pour le patient de faire des expériences RE au rythme de son assimilation interne.

Encore faut-il que l’Analyste RE ait bien conscience de cette recherche par le patient de son propre rythme.

Les tous premiers RE du patient ont par ailleurs, dans cet accès à soi-même suivant un rythme adéquat, un statut particulier. Reprenons Bion comme point d’appui. Il s’agit selon lui de pouvoir former un contenant qui puisse contenir des émotions violentes et que le contenu puisse tolérer l’attente d’un contenant. Formule intéressante : que le contenu puisse tolérer l’attente d’un contenant. Ce qui nous évoque le fait que dans pas mal de cas il y a une sorte d’apprentissage des RE ; comme si on était en train de créer le contenant, un peu indépendamment du contenu. Et d’ailleurs durant toute cette période là, ce qui est conseillé c’est de ne pas interpréter ces premiers RE, pour laisser s’instaurer peu à peu un élément contenant suffisamment fort. C’est sans doute pour cela que intuitivement un certain nombre d’auteurs GIREP ont senti qu’il fallait souvent beaucoup de tact envers ces premiers RE afin de respecter cette mise en place initiale.

Le cadre ; la passivité-activité ; le rythme – J’aurais eu d’autres choses à dire mais je n’en n’ai pas le temps aujourd’hui.
Il s’agirait, par exemple, de l’importance de la Construction dans les cas-limites (cf Monique Aumage et mon introduction) et de l’intérêt, dans cette optique, des thèmes et du R.E Dirigé. Ca serait dans ces situations limites que thèmes et directivité relative trouveraient leur fondement théorique.

Il s’agirait aussi du travail de liaison psychique effectué par l’expérience du RE elle-même, ce qui nous évoque l’interprétation métaphorique dont a très bien parlé Didier Houzel, et qui nous renverrait à l’idée qu’une partie de l’interprétation dans sa fonction liante est assurée par l’expérience du RE elle-même.

Enfin en ce qui concerne la question de la verbalisation du passage de l’image au mot, ceci a déjà été bien développé par Nadal et Dufour, puis par G. Maurey.

QUATRE TYPES DE RE

Toutefois avant de conclure, j’aimerais rapidement repérer quatre types de RE, entre autres :

Et tout d’abord deux types en rapport avec les bases mêmes de l’identité psychique.

 

L’un qui permet l’expérience du détruit-retrouvé : Jouer avec les représentations de l’analyste, sur la scène du RE, le détruire à souhait ; puis de le retrouver intact dans le cadre hors RE. Or cette expérience du détruit-retrouvé est capitale. C’est en effet une de celles qui permet à l’E de découvrir la différence entre monde interne et monde externe, différence entre un noyau interne et un objet externe, (rappelons-nous la phrase de Freud “ l’objet naît dans la haine ”) différence entre source de la pulsion et but de la pulsion… D’où l’importance souvent soulignée dans nos écrits, des RE de destructivité. Ils permettent une libération par rapport aux normes surmoïques, mais surtout la découverte de la possibilité d’accepter la pulsion et de voir que celle-ci est limitée/contenue dans la vie psychique. Le paradoxe de l’objet détruit/survivant est facilité par le double cadre RE : l’analyste est détruit sur la scène du RE/intact hors RE. Ceci renforce la sécurité primaire moi/non moi (l’objet continue à être intact à l’extérieur). La mise en brèche du déni de la réalité de l’objet permet la mise en brèche du postulat narcissique primaire d’auto-engendrement.

 

Les RE dits mystiques. Là encore RE qui ont plutôt mauvaise presse chez certains d’entre nous et qui pourtant ont dans certains cas une grande importance, dont nous pouvons apercevoir un éclairage théorique dans les remarques de la psychanalyste G. Haag. G. Haag parle des expériences de symbiose normale partagée, entre le bébé et son objet maternant, en disant que dans ces expériences “ se fabrique ” la substance psychique. Elle les appelle des “ élations symbiotiques créatrices ”, et elle souligne que ces élations symbiotiques créatrices réparent les blessures narcissiques les plus primitives, détoxiquent les angoisses les plus archaïques, psychisent les vécus antérieurs de séparation jusque là éprouvés comme amputation du moi corporel, et donnent ainsi à la psyché naissante les éléments nécessaires à la mise en activité de la pensée.

 

Par conséquent même cette question des RE mystiques a certainement un rapport avec la restauration du narcissisme primaire, comme d’ailleurs N. Fabre l’a souligné dans le livre de 1985 sur “ le Rêve Eveillé Analytique ”.

 

Deux types de RE en rapport avec les bases mêmes de l’identité psychique détruit-retrouvé, RE mystiques. Deux types en rapport avec un niveau psychologique plus élaboré /

  1. Le RE reprise de traumatismes – Bon, là on en a déjà longuement parlé, par exemple dans « Le RED et l’Inconscient » avec la liaison passé-présent que cela représente, mais aussi avec le ré-engagement modificateur.

Et, deuxième type, RE de nouvelle histoire, équivalent de nouveaux souvenirs. Vous pouvez vous reporter au dernier Colloque où je suis intervenu là dessus. (« Vrai-Faux souvenir pour une nouvelle histoire »)

CONCLUSION

 

On voit que l’expérience du RE et les deux logiques qu’elle suppose, dont parle Rocca, nous renvoie aux grands paradoxes de la construction-même de l’identité, suivant Winnicott ; et même peut-être à d’autres paradoxes qui seraient illustrés par le RE lui-même et qui n’ont pas encore été théorisés. Ces paradoxes éclaireraient sans doute, en retour, le vécu de l’E. Je pense par exemple au paradoxe que j’appelle “ fait pour soi-fait pour l’autre ”. C’est en faisant son RE pour l’autre que le patient le fait pour soi, et vice versa. L’autre et soi-même sont là encore tissés paradoxalement ensemble.

 

Donc l’expérience du RE et les deux logiques qu’elle suppose nous renvoie 1) aux paradoxes, liés à la construction même de l’identité psychique, 2) mais aussi à la création du Moi-peau psychique et d’une capacité de traitement interne, de symbolisation, la fonction alpha. Ce que je crois c’est qu’un certain nombre de nécessités méthodologiques de notre pratique ont été élaborées empiriquement par Desoille, puis par ses successeurs. Et qu’elles ont de très bonnes justifications théoriques qui elles restent par contre à dégager un peu plus. Dans beaucoup de cas rencontrés parmi nos patients, même les aspects les moins psychanalytiques en apparence, la directivité, la mise en place “ accompagnée ” des premiers RE, l’inscription écrite du RE, la non-interprétation des premiers RE, l’interprétation souvent longtemps différée, etc, etc, dans pas mal de cas même ces aspects moins psychanalytiques en apparence ont, je pense, un fondement théorique psychanalytique qu’il s’agirait de dégager pour permettre de comprendre le pourquoi de cette mise en place intuitive. Et que la théorie suive la pratique et l’éclaire en retour ; pour éviter un risque de dérive qui serait d’être séduit par une théorie et de déformer ensuite peu à peu notre pratique en fonction de cette théorie, sans avoir même compris auparavant la richesse de cette pratique.

 

Mon intervention d’aujourd’hui se veut une recherche dans cette direction, c’est à dire élaborer quelques éléments d’une théorie qui collent avec notre méthodologie et qui éclairent cette expérience particulière qu’est le rêver-éveillé en séance. Tout ceci est évidemment bien trop bref et bien trop condensé par le choix même du sujet : ce choix ne permettait pas aujourd’hui d’aborder tout le travail analytique qui se fait hors de l’expérience RE, ce qui est, bien entendu l’autre versant indispensable.

 

Mais il me semble, pour conclure, que nous avons à dégager plus finement notre théorie quant à cette énigmatique expérience du rêver-éveillé lui-même. Un des axes pourrait en être le lien entre les origines de la vie psychiques et le RE.

 

Le bénéfice de cette mise en place théorique serait sans doute d’éviter de recommencer le clivage interne au GIREP, artificiel, entre les “ psychanalystes ” d’un côté, les “ Desoilliens ” de l’autre. Alors qu’en réalité ce clivage découle d’une absence de repères sur ce qui justement nous relie, à savoir un cadre spécifique, celui d’une psychanalyse RE, où l’expérience du RE est un élément fondamental qui du coup détermine tous les éléments autour. Ce qui fait que nous ne sommes ni Psychanalystes, ni Psychothérapeutes désoilliens, mais Psychanalystes Rêve-Eveillé.