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Fiche de lecture

L’enfant et la souffrance de séparation

Par 29 décembre 2020février 2nd, 2021Aucun commentaire

L’enfant et la souffrance de séparation

de Maurice Berger (Dunod 1997)

maurice berger - Ecole Aidepsy

présenté par Katia Varoqui

Maurice Berger est professeur associé de psychologie clinique à l’université Lyon II, chef de service en psychiatrie de l’enfant et de l’adolescent à Saint-Etienne, et psychanalyste.

En s’appuyant sur 20 années d’expérience clinique, il réunit dans ce livre des exemples et une théorisation autour de 3 situations de séparations dramatiques, différentes du deuil, auxquelles l’enfant peut être amené à devoir faire face : le divorce, l’adoption et le placement.

Les souffrances des enfants vont croissant selon ces situations mais Maurice Berger juge pertinent de les réunir sous le concept de pathologie du lien qu’il élabore ici, et pour laquelle il propose des protocoles thérapeutiques pour, sinon guérir de la séparation, du moins en atténuer les effets.

Les éléments spécifiques de cette pathologie du lien sont d’une part le clivage, et d’autre part un mélange d’attaques incessantes du lien et de peur panique de le perdre.

Dans le cas d’un divorce, Maurice Berger observe fréquemment une identification au parent lésé.

Il observe également un refus sinon un déni fréquent de la séparation et des troubles de représentation qui font agir la souffrance plutôt que la penser.

Maurice Berger fait l’ hypothèse d’une blessure narcissique et pointe également que pour les membres d’une famille qui ne se représentent pas le lien mais en font l’expérience physique, ce qui est très fréquent, il n’est pas certain que la souffrance résultant d’une séparation puisse se soigner.

Enfin il évoque les mères pour lesquelles le départ d’un compagnon réveille une dépression plus profonde issue du lien à leur propre mère.

Pour ce qui est de l’adoption, il différencie adoption précoce et adoption tardive.

Dans l’adoption tardive, la maltraitance a été fréquente, qui conduit à des ratés dans les trois fondements de la personnalité ( représentation de soi, narcissisme et contenant des pulsions ).

En outre les interactions angoissantes des premiers mois de la vie laissent déjà des traces.

Maurice Berger pointe que le lien parent-enfant inclut la manière dont un enfant pense que ses parents sont à son origine, que le divorce des parents mouline cette interrogation, et encore plus l’adoption.

L’appartenance à la famille ne va plus de soi dans l’adoption et l’élaboration du roman familial se complique par l’existence de parents biologiques différents et réels.

La passivité de ces enfants, totale dans l’adoption, peut être accentuée, ou au contraire, leur désir de maîtrise peut être exacerbé pour se défendre contre des angoisses archaïques.

Dans tous les cas, l’enfant se dévalorise fortement plutôt que de dévaloriser ses parents.

L’enfant adopté tardivement présente souvent des parties saines et des parties psychotiques, et parfois les troubles éclatent à l’adolescence, quelle qu’ait été la qualité des soins apportés.

Pour ce qui est du placement, la souffrance et la pathologie de l’enfant placé sont constantes et souvent déniées.

Les parents sont incapables de s’identifier aux besoins affectifs et parfois même physiques de leurs enfants. Ils peuvent vouloir avoir un enfant, mais c’est un enfant idéal imaginaire ; alors ils contestent la séparation et cherchent à tout prix à maintenir dépendant l’enfant.

Ces enfants ont connu un environnement précoce imprévisible dont ils ne pouvaient se représenter aucune règle et qui ne leur offrait aucune emprise ; il en résulte des troubles importants de la pensée.

Ils n’ont pas reçu un apport narcissique suffisant et ils vivent un sentiment de vide qui fait qu’ils sont prêts à tout pour éprouver un sentiment d’appartenance.

Lorsque bébé ils hurlaient parce qu’ils avaient faim et qu’ils imaginaient un monde méchant qui les laissait avoir faim, ils ont eu en réponse de la violence ou de l’abandon. Etant ainsi dans l’impossibilité de différencier fantasmes et réalité, intérieur et extérieur, et d’élaborer la temporalité avec la répétition des traumatismes, ils ont dû retourner leurs attaques contre eux-mêmes et contre leur pensée, et ils n’ont pas pu élaborer un sentiment de culpabilité « normal » qui ne soit ni absent ( j’agresse l’autre car il m’a agressé le premier ) ni écrasant ( je mérite ce qui m’est arrivé ).

Le clivage chez ces enfants est fort et imprévisible pour se protéger de la terreur de la dépendance.

Derrière l’image idéalisée se cache non pas un parent imparfait mais une hallucination angoissante.

Ce clivage est à l’origine du désir de nombreux enfants de retrouver leurs parents, et à l’origine des projections manichéennes qu’ils font sur les intervenants.

La séparation est nécessaire mais pas thérapeutique et tous ces enfants ont besoin d’un travail psychothérapique soutenu, parfois avec une prise en charge quotidienne et la présence nécessaire de deux intervenants lors des rencontres avec les parents.

Beaucoup ne pourront pas utiliser le cadre proposé pour penser car ils luttent contre l’évocation d’une imago maternelle terrifiante.

Ce livre m’a intéressée car son auteur parle très clairement de l’élaboration de la personnalité dans le cadre du lien. Il dit combien la lecture psychanalytique des choses du quotidien est importante dans le cadre à poser aux enfants placés, et il dit l’importance du cadre.

Je suis admirative de la force de l’engagement de Maurice Berger, palpable dans ce livre et qu’il a prouvé dans le mouvement qu’il avait lancé en 2017 contre les dangers de l’éducation sexuelle.

Plusieurs fois dans le livre il parle des impossibilités à penser de l’enfant qui n’a pas pu intérioriser une sollicitude maternelle. Il parle de ces enfants qui doivent longuement symboliser avec des jouets, dans le cadre d’une relation de confiance, avant de pouvoir se représenter les choses.

Ces réflexions valident particulièrement le dispositif à la fois cadrant, bienveillant et pourvoyeur d’un « jouet » qu’est la psychanalyse rêve éveillé, qui pourra être bénéfique pour les sujets atteints de pathologie du lien modérée ( « modérée » à cause du potentiel à halluciner ).