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Fiche de lecture

Le triangle brisé

Par 15 mars 2022mai 3rd, 2022Aucun commentaire

Le triangle brisé

Trois psychothérapies d’enfants par le Rêve Eveillé dirigé

Nicole Fabre

le triangle brise - Ecole Aide Psy

présenté par Katia Varoqui

Dans ce livre, Nicole Fabre nous présente d’abord trois cures d’enfants qui ont chacun perdu un parent, par séparation ou décès. Ensuite, elle propose une théorisation de sa pratique.

Le premier garçon a 5 ans, son père est parti il y a un an. Lorsqu’il commence sa cure, il est tantôt morne, tantôt agressif. La douleur de l’absence de son père prend tout son espace psychique. Il essaie de dessiner une famille de chiens, mais le papa chien prend toute la feuille ; lorsqu’il représente un garçon, il ne lui dessine pas d’yeux. Au bout d’une année, le père va redevenir un modèle lointain mais possible. L’enfant va mieux puis redevient menteur et agressif. Ses dessins et constructions montrent une intrication des identités parentales. Il fantasme une mère toute-puissante, homme et femme à la fois, capable de tuer son père. Les deux figures parentales sont fantasmées interdites et la mère est en plus interdictrice. En exprimant symboliquement ses angoisses, l’enfant va à nouveau mieux au bout d’un an. Enfin, il commence une troisième tranche de sa cure, qui a duré 4 ans, par des diarrhées et des vomissements. Il désire toujours la présence de son père, et fantasme aussi la mort angoissante de sa mère. Progressivement, la recherche du père se dédramatise, il dessine un enfant qui joue à cache-cache avec son père, et l’agressivité envers la mère fantasmée lui interdisant sa virilité commence à se dire. Il raconte des histoires d’animaux affamés, rejetés par leur maman, puis fautifs. La culpabilité de ses désirs œdipiens est associée à la culpabilité paternelle d’avoir brisé la famille, qui est d’abord associée à la mère. Petit à petit, l’enfant comprend que la relation entre ses parents ne le concerne pas, et gère sa propre culpabilité œdipienne.

Le deuxième garçon a 13 ans et son père est parti il y a 6 ans. Au début de la cure qui ne dure qu’une année, la mère dépressive dort encore avec ses enfants, mais elle a des entretiens réguliers avec le médecin et avec la psychologue, qui l’aideront à accepter que le garçon quitte la chambre maternelle. Cette cure est un exemple des avantages d’une action à divers niveaux. Ce garçon est dépressif, inhibé, en situation d’échec, il a de l’asthme, des maux de tête, des malaises, et il dit avoir tout oublié de son passé d’enfant, mais il est motivé pour la cure. Les séances sont souvent très peu verbales. Il peint ou modèle fréquemment en silence et Nicole Fabre n’a presque jamais décrypté avec lui, elle garde ses interprétations pour elle. Il va commencer par symboliser des situations encloses et protégées, dans la sécurité desquelles les guerres parentales vont pouvoir être mises à distance. Une nouvelle vision de lui-même pourra alors émerger, et il pourra récupérer sa mémoire qui n’est plus condamnée à tout oublier pour être assuré d’effacer un passé insupportable.

Le troisième garçon a 14 ans et sa mère est décédée il y a un an. Le père est inquiet de la mollesse de son fils qui l’agace. Au bout d’un an, l’enfant bégaie toujours mais moins, ses résultats scolaires sont meilleurs et son agressivité antérieurement refoulée envers son père est devenue manifeste. Le père décidera d’interrompre la cure. Le problème de cet enfant est celui d’un garçon à la fois fixé amoureusement à sa mère et identifié à celle-ci. Pendant onze séances, il développe une image mutilée de lui-même. Il dit son besoin de s’identifier à sa mère malade pour la garder présente. « Je suis venue chercher une vache blessée ; il a fallu l’amputer ; son petit veau la retrouve et il est content » ; « J ‘avais un chat qui cherchait sa mère ; je posais ma main sur lui et ça le calmait ». Les thèmes de la compétition avec le père, de la castration et du refus d’une sexualité masculine émergent dans ses histoires. En onzième et douzième séance, il va raconter les péripéties d’une petite bouilloire. En étant bouilloire et petite souris à l’intérieur, il réalise son désir de prendre possession de la mère, puis la petite bouilloire livre au fond de la mer un combat dramatique d’où elle sort pourvue de dents agressives et d’un signe de royauté. A partir de là, la construction de soi l’emporte sur les éléments dépressifs ou masochistes. Plus tard, une autre histoire aura un rôle cathartique considérable : le rêve des trois flèches ; il permettra que le drame de la mort de la mère soit abordé.

Nicole Fabre commence sa deuxième partie en présentant la méthode du rêve-éveillé-dirigé de Robert Desoille et rapporte une citation de 1938 : « l’éducation de la fonction imaginative est une véritable organisation des fonctions de régulation que sont les sentiments ».

Elle explique qu’avec l’enfant, plus mobile et plus pauvre verbalement que l’adulte, les R.E.D. (Rêves Éveillés Dirigés) se font à partir de dessins, de peintures, de modelages et de figurines. Elle explique d’abord à l’enfant qu’elle sert à aider à comprendre ensemble ce qui ne va pas chez lui et qu’ensemble ils essaieront que cela puisse changer. « Les mots qu’on dit, les dessins qu’on fait, les histoires qu’on invente, sont autant de moyens de parler de soi et de se comprendre soi-même peu à peu. » En présentant du matériel, en se plaçant à ses côtés, elle signifie à l’enfant qu’il n’est pas seul dans l’univers qui sourd de lui-même. Elle lui propose d’entrer dans le tableau qu’il vient de camper : « et ça, comment tu le sens ? ». De son côté, en s’aventurant dans l’interprétation du R.E.D., même non transmise, elle entre dans le mouvement de la cure. La relation thérapeutique permet de mettre en mouvement les fantasmes immobiles d’un imaginaire solitaire. Le rôle premier du R.E.D. est de rendre possible et non coupable l’expression devant un tiers des désirs interdits. L’enfant a besoin de sécurité pour oser s’exprimer malgré le fond de culpabilité, et Nicole Fabre adopte une posture d’interdépendance avec lui. De désir exprimé en désir satisfait sur le plan du symbole, de désir satisfait en dépassement du désir vers des désirs plus adultes, s’opère la maturation de la personnalité. Le deuxième garçon à qui on a demandé de remplacer le père jusque dans le lit maternel, a besoin de régresser jusqu’au sein maternel. Le premier et le troisième garçon doivent tuer le père et posséder la mère. Une fois satisfaits les désirs les plus archaïques et renforcé le Moi à travers cette satisfaction, il deviendra possible de comprendre ce que l’on vit, de s’exprimer en langage clair. En participant au langage du désir de l’enfant sans revenir au langage verbal clair, Nicole Fabre se met au côté du patient et lui dit « j’ai compris ce qui te fait souffrir et tu as le droit de sentir les choses ainsi » ; elle reste toujours très vigilante à ne pas bloquer son patient en interprétant prématurément. Un type d’intervention est de faire un constat en relation avec le R.E.D. qui vient d’être fait « c’est l’histoire d’animaux séparés de quelqu’un qu’ils aimaient bien ; à toi aussi ça a été dur d’être séparé ». Lorsque la cure est bien engagée, lorsque beaucoup de choses déjà ont été dites, lorsque l’enfant désire comprendre ce qui lui est arrivé et que le langage social n’est plus emprunt des mêmes risques, des interventions explication-explicitation peuvent avoir lieu, mais elles ne sont pas le moteur de la cure.

J’ai beaucoup aimé découvrir le travail de Nicole Fabre avec les enfants.
Je suis admirative de son imagination, elle propose quand les enfants le demandent des débuts d’histoires, et de la pertinence de ses propositions. Elle interprète tout le temps, brillamment, sans jamais perdre de vue la valeur hypothétique de ses lectures ; quand il s’agit de transmettre ses interprétations, elle avance par toutes petites touches pour sonder la réceptivité éventuelle de ses petits patients, mais elle peut aussi faire preuve de beaucoup d’initiatives pour proposer des situations : « tu as l’épée ». Au final, c’est magnifique de voir les enfants évoluer au fil de leurs histoires.