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GEP

Le traitement du négatif

Par 25 janvier 2021Aucun commentaire

Le traitement du négatif

Le troisième point qui fonde l’approche GEP tourne autour d’une façon particulière de gérer le « négatif ».

 

Voyons de quoi il retourne.

 

Le mythe du bonheur

Tout d’abord faisons un sort au mythe du bonheur, permanent, durable, but vers lequel nous tendrions en permanence. Quels que soient nos efforts, nous n’échapperons pas aux périodes de doute, de désespoir, de confusion, d’angoisses, de sentiment d’abandon. Nous passerons par des creux de vague intenses. Pourquoi ceci ? Pour plusieurs raisons déjà évoquées dans des Geppetos précédents et sur lesquelles nous allons revenir.

La béance du psychisme

Pour les psychanalystes le Moi s’est constitué par une décentration, qui institue au cœur du psychisme une fracture, une béance, un vide. Citons P.C. Racamier : « Il faut, en vertu de l’anti-narcissisme, s’arracher à soi pour aller se découvrir soi-même ailleurs et à travers l’objet : le territoire du Moi repose sur un vide ». Lacan et d’autres vont tout à fait dans ce même sens.

 

La chute, l’exil du paradis, l’éloignement de l’animisme primaire (qui nous faisait nous sentir relié à tout objet, sans limite personnelle précise) ont été le prix à payer par chacun d’entre nous pour structurer notre Moi et entrer alors dans le monde humain, limité.

 

C’était indispensable. Mais il nous en reste un sentiment de nostalgie profonde (nostalgie du paradis perdu) et d’emprisonnement, de limites (le Soi illimité s’étant comprimé à l’intérieur des bornes du personnage humain que nous incarnons). La sortie ne se trouve que par le bas (devenir fou, schizophrène, ayant perdu ses repères identitaires) ou par le haut (réaliser l’expérience mystique de désidentification et de dissolution du Moi au profit d’un vécu d’universelle « participation » – Levy-Bruhl-).

 

En attendant une de ces deux sorties, aussi improbables l’une que l’autre, il nous faut vivre avec cette béance, ce désespoir, qui rend tout bonheur éphémère, puisque condamné régulièrement à être balayé par ces sentiments douloureux issus du cœur même du psychisme humain.

 

Mais si la poursuite d’un bonheur permanent est illusoire, la recherche d’une sérénité durable, qui « fait avec » les passages douloureux et qui diminue considérablement leur impact, nous est tout à fait accessible. C’est dans ce sens qu’œuvre le GEP, comme nous allons le voir plus loin.

La solitude. Les difficultés de la vie relationnelle

Autre source de souffrance : le sentiment de solitude. Celui-ci tient non seulement aux raisons citées précédemment (je suis seul dans les quatre murs de mon Moi limité) mais aussi à la civilisation dans laquelle nous baignons. Beaucoup de facteurs aggravent en effet cette solitude :

 

  1. Un enfant privé d’amour (par ex. avec des parents très absents) est parfois leurré inconsciemment par un gavage de
    cadeaux et de bonbons. Il aime toutes ces bonnes choses qu’on lui donne et pourtant au fond de lui-même existe
    un sentiment de profond manque. Mais ce sentiment ne lui est pas clairement accessible, car il se trouve masqué
    par le plaisir superficiel des cadeaux et bonbons.

 

De même nous sommes dans une société qui nous donne l’impression d’avoir une foule de contacts, une masse de relations, une connaissance importante des autres et du monde. Cf le bombardement d’informations par les divers médias, le développement d’Internet, etc. Mais rien de tout cela ne nous satisfait ; il y a un leurre. Tout compte fait nous ne sommes reliés en profondeur qu’à un nombre infime de gens et nous ne connaissons presque rien ni personne. « Plus on sait tout, plus on ne sait rien » chantait J. Dutronc. Nous avons l’impression d’être méga-reliés à la planète entière, alors que nous ne sommes, suivant l’expression des sociologues, que les membres d’une foule solitaire.

 

J’ai beau passer 8 h par jour sur Internet devant mon écran (tendance actuelle des ados japonais) je ne sais rien de l’autre et de sa différence, ni de moi-même en relation véritable.

 

2. les médias et plus particulièrement leurs publicités véhiculent le mythe du bonheur et font peser le poids d’images idéales.
Consommez et vous serez heureux, soyez mince et vous serez attirante, faites-vous refaire chirurgicalement et vous
serez aimées. Pour tous les gens décentrés d’eux-mêmes ces messages sont un véritable fardeau qui les conduit à
s’éloigner toujours plus de leur propre vérité, à la poursuite de ce « positif » brillant, merveilleux, destiné à les faire saliver.
L’âne, écrasé sous le bât, ne pense qu’à la carotte, si joliment peinte et colorée, qui s’agite devant lui. Il en oublie presque
sa douleur et continue de tourner dans son manège, seul avec ses images idéales qui le conduisent à n’apprécier ni ce qu’il
est lui-même, ni ce qu’est l’autre.

La finitude

En plus de la nostalgie désespérée inscrite au cœur de chacun, en plus de la solitude et du sentiment de ne pas arriver à un contact profond, il y a l’idée de la mort. Le temps avance et parfois l’angoisse nous étreint : « Quand ? comment vais-je mourir ? ».

 

Là encore l’environnement culturel qui est le nôtre plaide pour le déni. N’y pensons pas. Masquons les morts ; c’est comme s’ils n’existaient pas.

 

Avec, bien entendu, le retour du refoulé : la mort est omniprésente, sous une forme généralement horrible, à travers les infos, les films, les romans, etc. Dix morts chaque soir au film de la télé, entrelardé de pubs pour rester jeune et beau.

S’il y a donc une conclusion incontournable à tirer devant cette béance psychique, cette solitude, et cette finitude, c’est bien que la souffrance accompagne chacun de nos pas, même si nous avons de multiples stratégies pour ne pas la voir ou pour « positiver » par dessus.

Que faire ?

D’abord « voir ». Voir la réalité de cette souffrance et de ces manques douloureux qui nous habitent. Ici, tous ceux qui ont fait le stage pour travailler à se libérer du S.D.I. (Schéma Destructeur Interne) reconnaîtront la démarche. Comme beaucoup de vérités profondes celle-ci n’a rien d’original : avoir l’aplomb de regarder en face sa douleur, ses problèmes, sans recourir à des stratégies d’évitement, rejoint aussi bien des philosophes contemporains, comme A.Comte-Sponville, que l’ancienne philosophie stoïcienne, ou que l’attitude adoptée en méditation (accepter de tout laisser venir et observer tout ce qui surgit en soi, sans trier).

 

En effet, comment trouver l’ombre du début d’une solution si on ne commence pas par une observation lucide et détaillée. De ce fait le cheminement GEP est assez ascétique et tâche d’aider les participants à ne pas fuir ce qui est entrain de leur apparaître. Rappelez-vous ces consignes bizarres données par les Responsables : « tâchez de ne pas rire durant cet exercice », « évitez d’aller pisser maintenant, vous le ferez à la pause », etc. Tout ça se résume en une phrase : « reste en contact avec la vérité (parfois douloureuse au premier abord) de ce que tu ressens, ne fuis pas, n’évacue pas ce ressenti ».

 

Or, Dieu sait si les possibilités de fuite qui nous sont offertes sont nombreuses : alcool, psychotropes, drogues, sectes, rêveries spiritualistes (je suis « dans les sommets », réalisé, et plein d’Amour… même si mes jeux de pouvoir inconscients sont féroces), fausse religiosité (tout est beau), etc.

 

Freud distinguait deux types d’approches psychothérapiques : « via di porre » comme la peinture, c’est à dire rajouter des couches colorées, ou « via di levare » comme la sculpture, c’est à dire enlever les couches défensives. Le GEP n’est guère favorable à la via di porre. Et n’apprécie pas trop le plaqué or, le placage de positif.

 

Ensuite, ne pas être submergé. En effet, face à la douleur ou aux émotions dites négatives (celles que nous n’aimons pas sentir surgir en nous-mêmes), nous avons généralement deux positions. Soit court-circuiter, refuser, refouler (ex. je ne veux penser que positif) soit être envahi, être submergé, possédé (ex. je plonge dans la dépression et l’amertume).

 

« Voir » empêche le refus et le court-circuitage. Mais il reste ensuite à affronter le dragon qui se trouve face à notre regard, sans se laisser dévorer par lui.

 

Or l’affronter ne consiste pas à combattre pour le tuer, mais plutôt apprendre à co-exister avec lui (et même s’en faire un allié comme nous l’expliquons plus loin). Par exemple co-exister avec ma tristesse : une part de moi est profondément triste pour telle ou telle raison, mais une autre part de moi, observatrice, n’est pas triste. Peut-être même vais-je découvrir qu’à côté de la part de moi qui pleure, il y a une part de moi qui sifflote une petite chanson légère. Suis-je donc dans un dédoublement de personnalité ? Non, au contraire : c’est que mon contenant psychique est suffisamment solide pour accepter de contenir des tendances opposées, dont chacune possède sa validité. J’ai peur, mais je ne suis pas que cette peur : une autre part de moi est tranquille et sereine. Etc…

La pratique GEP

Plusieurs éléments dans la pratique du GEP favorisent l’apprentissage de cette co-existence avec le négatif.

 

D’abord « voir » –> les exercices favorisent la montée de ce qui cherche à émerger pour chacun. Puis « contenir » –> la succession des exercices permet d’expérimenter que même si j’ai été très ému par l’un, je peux ensuite sortir de cette émotion et passer à autre chose.

 

Et les EEP ont particulièrement cette double fonction : « voir » à distance mon problème, par le fait même que l’écoutant me le reformule et que, donc, ensemble, nous le posons là, sur la table, au milieu de nous deux ; puis « contenir » : le cadre horaire me conduit à vivre l’expérience suivante –> je peux pendant ¾ h laisser la place à plein d’émotions difficiles, et pour autant je ne suis pas déstructuré, je me récupère quelque temps après. Cette expérience, renouvelée régulièrement (minimum une fois par mois) me permet de co-habiter de plus en plus tranquillement avec toutes « ces choses » inquiétantes qui rodent en moi (à la recherche d’expression) et qui ont désormais leur petit pré carré délimité.

Conséquences positives qui en résultent

Certains membres du GEP l’ont bien exprimé. « Avant », ne sachant pas nager, ils avaient l’affolement de se noyer dès qu’ils buvaient une tasse. Maintenant qu’ils savent nager, ils boivent encore parfois de désagréables tasses mais ça n’est pas grave, ça ne les affole plus, et ils savent continuer à nager. Au fil de la pratique des EEP se développe une grande sécurité interne.

 

Cette fiabilité du contenant psychique (qui permet aux opposés de co-exister, au négatif d’avoir sa place sans pour autant prendre le pouvoir) amène un accroissement de la confiance : confiance en soi, confiance en la vie.

 

Par ailleurs, l’acceptation en soi-même d’aspects contradictoires et opposés conduit à plus de souplesse, plus de créativité (la tension entre ces parties augmente le niveau énergétique et l’accès à des solutions nouvelles). Ce qui n’est pas sans nous faire penser aux études du psychologue américain Siebert. Celui-ci a longuement étudié la psychologie des « survivants », c’est à dire de ceux qui s’en étaient sortis alors que les conditions objectives étaient catastrophiques. La principale conclusion était la suivante : ils disposent d’une capacité à être bi-polaires : sérieux et ludiques, durs et gentils, sur le qui vive et décontractés, etc.

L’ouverture à l’amour

Lorsque nous avons appris à co-exister avec le dragon, nous pouvons aller encore plus loin : le considérer comme un ami et découvrir alors le trésor dont il était le gardien.

 

Au GEP cela se fait ainsi : loin de fuir la blessure existentielle qui existe au plus profond de nous-mêmes, nous apprenons à l’accepter comme un fait, avec lequel il faut savoir nager. Je peux sentir en moi une partie blessée, disons un enfant blessé, qui souffre, qui est triste, qui se trouve petit, impuissant, abandonné et qui a besoin de soutien. Au lieu de m’en détourner avec horreur et de chercher à construire à sa place un personnage de « winner », de battant sans émotion, je vais m’approcher de lui avec douceur. Je vais le comprendre et l’entendre. Je vais lui donner le droit d’expression et pleurer avec lui ses larmes de solitude.

 

Or ces larmes vont entraîner avec elles, et sortir de mon cœur, le bout de glace qui s’y était planté. Comme Kay, dans le conte « La Reine des Neiges », je retrouve avec ces larmes un sentiment d’ouverture, de sensibilité délicate. Me laisser aller à ces doux pleurs, m’autoriser à être vulnérable, si fragile, tout ceci me relie au plus profond de mon humanité. Je ne m’y serais pas attendu, mais me voilà plus vivant, plus près de mon centre. Certains sages africains ont pu dire que les occidentaux, pour s’épanouir et s’ouvrir à la vie, avaient besoin de suivre « la voie des larmes ».

 

Quand j’ai pu ainsi accepter avec compassion cette partie blessée en moi, sans chercher à la bousculer ou à la faire changer, le pas suivant me mène à observer que chacun d’entre nous abrite ainsi, derrière son personnage habituel, un enfant triste ou souffrant. Il se passe alors une expérience émouvante : ne me laissant pas arrêter par l’aspect visible de l’autre, par sa persona, je sais qu’en profondeur lui et moi sommes identiques car nous avons tous deux cet enfant blessé qui cherche l’amour. Alors, d’enfant blessé à enfant blessé, je peux m’identifier, me relier, à n’importe quel autre être humain. Je découvre la délicate fleur dont les parfums sont tolérance, respect, compassion, douceur.

 

Bien entendu, en surface tel ou telle m’agace parfois vivement. Mais en profondeur, lorsque je sais et je sens l’enfant blessé en lui, je suis bien près de laisser tomber maintes réactions d’énervement. Plus aucun être humain ne m’est étranger. Je suis seul dans ma peau et pourtant intensément relié. La blessure était une ouverture ! Vers l’acceptation inconditionnelle de l’autre…