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le coeur métamorphe - Ecole Aide Psy

LE COEUR MÉTAMORPHE CHAP.7

Jean-Marc HENRIOT Fondateur de l’Ecole AIDE Psy

Réussir sa vie, c’est aussi se donner les chances d’établir des relations heureuses avec autrui et avec nous-même, et bien vivre nos comportements affectifs. Cela suppose un préalable : décrypter notre complexité psychique et émotionnelle apparente. Notre psychisme est constitué de différentes personnalités. Fruit de nos expériences, il abrite aussi l’enfant que nous étions, l’image de nos parents et des figures marquantes de notre histoire, les rôles que nous avons joués… Le cœur métamorphe désigne la possibilité de gérer cette incroyable mosaïque interne, qui détermine nos attitudes et qu’il nous appartient donc d’explorer et d’organiser, pour évoluer. Ce manuel synthétique et pratique expose des notions psychologiques fondamentales et leurs manifestations au quotidien. Exposés clairs et structurés, exemples, résumés et nombreux exercices nous permettent de découvrir notre boussole interne dont le nord magnétique serait l’équilibre émotionnel. Accepter de se voir tels que nous sommes, c’est saisir une occasion de créativité et d’ouverture humaine.

Chapitres

CHAPITRE 7. EXIGER, MOTIVER, ENTRAÎNER

VISCOSITE  ET  RESISTANCE

 

Une voiture dispose au minimum d’un frein et d’un accélérateur. De la même façon existent en nous des forces antagonistes : les unes poussent au changement, à la nouveauté, les autres souhaitent le maintien de la situation telle quelle. Si bien qu’une partie de nous résiste à toute évolution, même lorsque nous nous trouvons pris dans un contexte catastrophique dont nous souhaitons ardemment le changement.

 

Tout se passe comme si notre psychisme était affecté d’un coefficient individuel de viscosité, qui l’amène à opposer spontanément une certaine résistance à la pression et au changement. Bien sûr, on apercevra plus aisément ce mécanisme chez autrui : essayez de pousser votre environnement à changer et vous verrez divers freins se mettre en place. Opposition parfois secrète, non proclamée, un apparent accord… assorti de sabotages inconscients ruinant toute l’affaire ; ou résistance ouverte manifestée par des grognements ou de la colère face à vos demandes.

 

Une observation objective et subtile vous fera bientôt discerner la constante suivante : « Presque tout le monde réagit à une pression par  une  résistance ,  ouverte  ou  secrète  ; et  personne n’aime subir des ordres, pas même une personnalité dépendante » . (On ne sera cependant pas surpris, conformément à la complexité humaine et au principe des opposés psychiques, de trouver en contrepoint une petite partie de soi qui aspire à être prise par la main comme une enfant, dirigée, soulagée de cette encombrante volonté individuelle).

 

Pourquoi cette loi comportementale ? Sans doute pour les trois raisons suivantes :

 

1)  notre psychisme s’est construit progressivement, morceau après morceau, avant d’arriver à un point où il se sente suffisamment unifié, toutes les briques réussissant à former une construction plus ou moins stable, grâce au ciment de l’amour de soi et de l’autre. Il subsiste de ce long parcours ce qu’on appelle « l’angoisse de morcellement ». Parmi les diverses peurs qui peuvent nous habiter, et que nous aurons l’occasion d’évoquer ultérieurement, cette crainte inconsciente de tomber en morceaux demeure la plus primaire, la plus enracinée en nous. Elle se réveille chaque fois qu’une situation stable et habituelle (fût-elle la pire des conditions) risque de se trouver mise en question. « Changement » évoque « déstabilisation » et entraîne une anxiété, variable suivant l’histoire individuelle de chacun, mais toujours plus ou moins présente, induisant une réaction de résistance à la modification.

 

2)  De plus, la longue période d’enfance humaine nous a fait vivre une position d’impuissance au cours de laquelle les ordres et les pressions diverses figuraient à notre menu quotidien. Il nous en reste un puissant désir de ne pas revivre ceci. Et toute circonstance évocatrice de cette position basse va stimuler un besoin d’opposition, conduisant à faire obstruction à la personne qui cherche à se placer en parent vis à vis de nous.

 

 

3) Lorsque le partenaire nous demande de changer, nous avons tendance à l’interpréter comme un signe de rejet de ce que nous sommes, ce qui nous conduit à essayer de préserver notre « identité ».

 

Variations individuelles de la viscosité

Suivant les circonstances de l’enfance, la viscosité se révèlera plus ou moins importante. S’il arrive que cette viscosité semble absente et que tout changement apparaît très aisé, cela signifie, en général, que celui-ci se montrerapeu durable, peu enraciné, aisément remplacé.

 

Sans aller jusque là, « Fais Plaisir » (FP) risque cette même coupure intérieure, accompagnée de son coût imposant, souvent sous forme de maladie physique ou de lourdes angoisses.

 

Là encore, du fait de cette coupure interne, la personne, enfouie loin derrière le masque, pâtit d’une grande solitude et d’un manque d’amour, amenant une famine narcissique et affective.

 

Chacun de nous doit donc trouver la bonne viscosité, le juste dosage, la distance correcte, car le vrai partage, le sentiment d’être vivant, se situent entre ces deux extrêmes. Ceci se joue particulièrement dans deux secteurs :

  • avec soi-même : ne pas accepter trop d’écart entre le « personnage » et la « personne » intime,
  • avec l’autre : réussir à l’apercevoir comme un être total, et non comme un objet à manipuler, ou un porteur de menace réveillant notre paranoïa.

Quoiqu’il en soit, cette résistance à toute injonction, toute pression, tout changement brusque ou important, se présente comme une donnée avec laquelle nous allons devoir composer dans nos relations professionnelles ou intimes (enfants, conjoint). Or il se trouve que nous avons besoin de voir l’autre évoluer, s’adapter, au moins en partie, à nos attentes, soit pour nous permettre d’éprouver un certain bien-être soit pour arriver à réaliser une tâche commune.

 

Comment concilier d’une part authenticité (afin de continuer à se sentir vivant), respect (permettant d’être en contact avec un véritable individu) et d’autre part désir que notre partenaire ou notre proche fasse ce que nous attendons de lui ou ce qui nous est tellement nécessaire ?

 

 

RESUME

 

  • Chez chacun d’entre nous deux forces antagonistes se régulent mutuellement : désir de changement/refus du changement. Par conséquent toute perspective de modification suscite un frein intérieur,
  • Personne n’aime subir de pression ou d’ordre. La réaction spontanée dans ces cas-là est de s’opposer (ouvertement ou secrètement),
  • Dans ces conditions comment demander à l’autre de changer (pour répondre à nos attentes et nos besoins) sans récolter l’exact opposé de notre souhait ?

 

 

FAIS  CE  QUE  JE  TE  DEMANDE

Trois façons de procéder s’échelonnent, depuis la plus inefficace jusqu’à la plus mobilisatrice. Il s’agit respectivement de :

  • †      la pression autoritaire (commander),
  • †      l’influence (motiver),
  • †      l’appel aux Valeurs (entraîner).

 

Pourquoi cette hiérarchie, situant la pression autoritaire au plus bas niveau de l’échelle ? A cause d’un point capital : l’adhésion intérieure que la personne va accepter de donner à la consigne qui lui est proposée. Voyons ceci en détail.

 

1)    Expériences de Freedman et Lepper

 

Depuis bien longtemps les psychologues se sont intéressés à cette question. FREEDMAN en 1965 a effectué l’expérience suivante. Deux groupes d’enfants sont mis en présence d’un robot-jouet très attractif. A l’un des groupes il est fait une menace lourde : « si tu joues avec ce robot, je serai très en colère, et je serai obligé d’agir en conséquence ! », et à l’autre groupe une pression légère : « ne joue pas avec ce robot, ce n’est pas bien ! ». Puis l’expérimentateur part cinq minutes, laissant les enfants seuls avec les jouets. Dans l’ensemble les enfants des deux groupes n’ont pas touché au jouet ; mais l’expérimentation porte surtout sur la seconde phase : quelques semaines plus tard les enfants sont amenés à se distraire, durant le temps d’une pause, avec différents jouets dont le fameux robot. FREEDMAN observa alors que les enfants ayant subi une menace lourde étaient 67% à s’amuser avec le robot interdit cependant que le groupe ayant subi une menace légère, à peine esquissée, ne montrait que 29 % d’enfants pour adopter ce comportement transgressif.

 

Ainsi un résultat statistiquement significatif a été obtenu par une interaction de quelques minutes !

 

Que peut-on en conclure ?

  1. dans un premier temps une menace lourde n’a pas plus d’efficacité qu’une pression légère ;
  2. dans un temps ultérieur les enfants qui n’ont pas vraiment été menacés ont intériorisé la norme de comportement proposée.

 

LEPPER a effectué la même expérimentation en 1973 mais en proposant une variante intéressante. Premier temps identique : confrontation à un jouet très attractif interdit aux uns par une menace lourde et aux autres par une menace légère. Deuxième temps sans rapport avec l’objet interdit : quelques semaines plus tard, et avec un expérimentateur différent, les enfants avaient la possibilité de gagner des prix intéressants en falsifiant leur score à un test, donc en trichant. A nouveau il fut constaté que les enfants auparavant placés dans la condition de menace légère résistaient mieux à la tentation de tricher que ceux qui avaient été mis dans la situation de lourde menace. Comme si les premiers avaient mieux appris que les seconds à résister aux tentations.

 

Notez bien que ce résultat a été obtenu sans persuasion, sans grands discours, sans leçons de morale, sans arguments.

 

Les psychologues français JOULE et BEAUVOIS démontrent à partir de diverses expériences que la pédagogie de l’engagement (qui induit l’enfant à intérioriser la norme, en usant d’un contexte libéral, avec peu de menaces et peu de récompenses) est bien plus efficace que la pédagogie de la prescription , basée sur l’autorité imposée et sur un rapport de domination.

 

Pourquoi ceci ? Difficile de résumer ici de très nombreuses publications. Evoquons cependant un autre psychologue FESTINGER et son concept de « dissonance cognitive ». Bien des expériences ont montré que, lorsque nous sommes dans une situation très frustrante, avec peu de menaces ou peu de récompense qui justifieraient les choses, nous préférons distordre notre ressenti et affirmer que la situation n’est pas mauvaise, afin de rationaliser le fait que nous la subissons. Des sujets qui consacrent beaucoup d’efforts à un but sans intérêt se convainquent que l’objectif atteint est intéressant.

 

Voici une expérience de FESTINGER, que je résume de mémoire. Deux groupes d’étudiants doivent réaliser une tâche extrêmement aride et désagréable. Pendant un heure, entourer des carrés, barrer des ronds, ou quelque chose de cet ordre. Un des groupes est payé 10 $ pour cela, et l’autre groupe seulement 1 $. Puis on leur fait passer un questionnaire, soi-disant pour avoir leur opinion sur divers points de la tâche, mais surtout pour savoir comment ils l’ont ressentie. Le résultat s’avère troublant : quel  groupe va se plaindre le plus ?…. Celui qui a été payé 10 $ !!! alors que ceux qui ont été payé seulement un dollar auraient eu bien plus motif à se plaindre !  L’explication est la suivante : les étudiants du groupe à 1 $ subissaient une « dissonance » entre l’ampleur de la frustration et le très faible salaire. Ils ont alors choisi inconsciemment de juger la tâche pas trop désagréable. Faisant ceci ils diminuaient la dissonance, et soulageaient leur pression interne… au détriment de la vérité de ce qui s’était passé pour eux.

 

A la limite si la dissonance est très forte (exemple: celle des mineurs au début du siècle, subissant l’écart entre un travail réalisé dans des conditions infernales, et en contrepartie un salaire faible et des modalités de vie misérables) nous pouvons être amenés à glorifier la situation vécue afin de justifier notre choix d’y rester (fort investissement des mineurs sur leur « noble » métier). On comprend en partie pourquoi les révolutions ont généralement été initiées par les plus nantis et non par les plus écrasés.

 

Revenons au mécanisme cognitif qui s’est probablement passé dans les expériences avec les enfants. Ceux qui n’ont pas touché au jouet attractif, alors qu’il n’y avait sur eux qu’une pression faible, ont été obligés de justifier intérieurement leur attitude par une conviction du genre : « C’est bien moi qui choisis personnellement de ne pas toucher ce jouet, puisqu’il n’y a que très peu de menace et pas de récompense » et à intégrer, par conséquent, cette attitude et ce « choix » dans leur palette mentale intérieure, ce qui explique leur comportement ultérieur. Cependant que les autres pouvaient se dire : « Je suis obligé par l’adulte de ne pas toucher à ce jouet, mais moi, mon désir et mon choix seraient de le tripoter, et dès que je n’aurai plus de menace forte au-dessus de moi je le ferai ».

 

Conclusion : si vous voulez que quelqu’un adopte une norme de comportement proposée par vous-même, il s’agit de l’amener à poser quelques actes dans ce sens, sans qu’il puisse les attribuer à une menace lourde ou à une récompense forte. Dans ce cas il trouvera en lui-même les justificatifs à son attitude et intégrera alors la norme proposée en la faisant sienne.

 

Manipulatoire ? Incontestablement, et nous y reviendrons. Mais restons-en pour l’instant au propos de ce chapitre : on aperçoit que l’exigence autoritaire, les cris, les menaces, les pressions lourdes ne sont efficaces que lorsque l’autre ne peut y échapper ; mais elles conduisent à mettre toujours plus de pression avec toujours moins de résultat. En faisant un peu plus de la même chose (crier, tempêter, face à l’obstruction) on obtient un peu plus du même résultat (augmenter la rébellion ou la résistance).

 

2)    Le dressage des animaux

 

Inutile de faire de longues analyses, il y a bien longtemps que les dresseurs d’animaux ont montré les solutions les plus efficientes :

 

  • récompenser le comportement attendu. Non pas une importante gratification, mais une petite récompense (le poisson donné au phoque après son exhibition, ou le mince carré de viande au lion ou au tigre),
  • laisser s’éteindre le comportement refusé. C’est à dire ne pas souligner celui-ci par une interaction de punition. Le châtiment retarde l’acquisition du comportement attendu, car il attire l’attention sur la conduite défendue au lieu de laisser celle-ci disparaître,
  • et les psychologues behavioristes (SKINNER) ont même démontré qu’une récompense non systématique était bien plus efficace, et ancrait plus vite l’animal dans l’acte souhaité (l’animal fait plus, afin de vite retrouver la gâterie désirée).

Même si nous ne pouvons pas transposer intégralement aux humains, ceci peut quand même nous faire réfléchir.

 

 

3)    Prescrire ce qu’il ne faut pas faire

 

Quelle est l’image qui vous vient à l’esprit si l’on vous dit : « Ne pensez pas à un éléphant »……

 

 

Constatez que cette consigne négative provoque l’inverse de ce qu’elle propose !

 

Cela vaut pour toutes les situations de la vie. Si vous vous proposez comme objectif : « ne plus faire telle chose », votre esprit visualise l’action sans tenir compte du contexte verbal (« ne plus ») qui l’accompagne. Ainsi plus vous vous affirmez : « je ne veux plus faire telle chose », et plus vous fixez votre esprit sur ce comportement prohibé !

 

Même mécanisme dans les prescriptions que vous allez donner aux autres ! Si vous distribuez un grand discours à propos de ce qu’il ne faut pas faire, vous induisez l’esprit de la personne à visualiser… cette action interdite.

 

Un patient me racontait qu’il avait découvert la masturbation à l’adolescence suite à un exposé du directeur de son école leur expliquant qu’il ne fallait pas se masturber ! Il n’agissait pas seulement par esprit d’opposition, mais parce que ce long prêche l’avait conduit à considérer abondamment et à visualiser ce à quoi il n’avait jusqu’alors pas pensé.

 

Prescrire ce qu’il ne faut pas faire aboutit donc à consolider ce qu’on voudrait combattre. Innocemment nous éreintons notre entourage sous la liste de ce qu’il devrait éviter de faire, et sans le savoir nous renforçons ainsi en permanence ce que nous voudrions tant voir disparaître.

 

Chaque fois que nous attirons l’attention sur une désignation (« tu es vraiment maladroit ! ») nous ancrons celle-ci dans l’esprit et le comportement de la personne.

 

Comment éviter de se piéger ainsi dans des catégorisations qui vont enfermer l’autre et l’empêcher d’évoluer ? En différenciant le comportement et l’être : « il n’a pas fait ses devoirs » n’est pas du tout identique (surtout pour une évolution ultérieure) à « il est paresseux ». Toute étiquette fige l’autre, et les psys les plus expérimentés évitent de catégoriser leur patient, afin de rester ouverts au changement et à la surprise. Rien de pire qu’un psy qui poserait une étiquette et traiterait alors un « malade » qu’il aurait contribué préalablement à figer dans ce statut. On sait que la « dépression » est devenue une telle entité dans notre culture en grande partie parce qu’elle donne lieu à un « diagnostic » qui la cristallise. Même si on ne peut se passer d’un certain repérage clinique à base de classification, il est capital de ne pas trop s’y arrêter et surtout de ne pas se prendre à l’illusion d’avoir ainsi défini l’autre. La carte n’est pas le territoire, et l’étiquette pathologique n’est pas la personne. Mais observez dans vos interactions comme il demeure cile de se prendre à ce système de désignation chosifiante !

 

Sortir de cette tendance suppose d’avoir compris qu’elle conduit à installer, fortifier, cristalliser ce que justement elle reproche à l’autre. Plus on souligne ce qu’on voudrait voir disparaître, plus on contribue à retarder sa disparition.

 

 

RESUME

  •  La pression autoritaire freine la possibilité pour l’autre d’intégrer ce qu’on lui demande. Elle n’est efficace que dans un contexte de domination et nécessite toujours plus de vérification, car il n’y a pas adhésion de la personne
  • Souligner ce qui ne va pas et ce qu’il faudrait ne pas faire amène un renforcement de ce qu’on proscrit et qu’on voudrait voir disparaître
  • Une menace faible favorise l’intériorisation de la norme qui est proposée à la personne commandée, et se révèle donc plus efficace qu’une menace

 

 

ACTES  ET  OPINIONS

 

Les études en psychologie sociale ont montré que nous  sommes liés principalement par nos actes.

 

 

L’escalade d’engagement

Quand nous avons commencé à poser un premier acte, il nous devient pénible de ne pas continuer dans cette voie. Et plus nous voilà engagés dans cette direction, plus il nous est malaisé de reconnaître une éventuelle erreur et de lâcher prise. Il y a une sorte d’adhérence de l’individu à ses décisions ; plutôt s’enfoncer que reconnaître une erreur initiale de jugement.

 

Constatant ce fait les commerçants ont mis au point de nombreuses stratégies visant à ce que le chaland prenne une première décision (dite décision d’amorçage) sur un petit point, de façon à enclencher secondairement d’autres décisions plus lourdes.

 

Exemple : un passant voit en vitrine un pantalon sympa, bien coupé, bonne qualité, à un prix imbattable. Il rentre et accepte de l’essayer. Il est sur le point d’acheter quand le vendeur lui montre la veste assortie : celle-ci semble assez chère mais s’harmonise si bien avec le pantalon. Dans un grand nombre de cas le client va acquérir l’ensemble : entré pour essayer un pantalon à bas prix, il ressort avec un complet qu’il a finalement payé aussi cher que n’importe quel autre complet équivalent.

 

Plus subtil : provoquer une décision d’amorçage en masquant les inconvénients du choix proposé. Quand la personne s’est résolue, on lui révèle que, ah oui, il y a tel petit inconvénient, etc. Un pourcentage important de gens persévèrent alors dans leur décision, même après avoir appris les inconvénients qu’ils ne connaissaient pas quand ils ont pris leur parti, et surtout si le vendeur leur donne un sentiment de liberté, de libre détermination (« vous pouvez vous rétracter, si vous le désirez ! », ce qui induit, par réaction : « Non, non, ça n’a pas grande importance, je le prends quand même »).

 

Les opinions s’alignent sur les actes

 

Kurt LEWIN, créateur de la dynamique de groupe a eu le mérite d’être un des premiers (1947) à montrer qu’induire une décision est plus efficace que chercher à « convaincre ». Ses travaux, bien connus, comparaient l’efficacité de deux stratégies visant à modifier les habitudes de consommation des ménagères américaines (acheter des bas morceaux de boucherie, par exemple, plutôt que des pièces nobles). Les femmes qui avaient pris en groupe la décision de consommer ces denrées s’y tenaient infiniment plus que celles qui avaient suivi des conférences vantant la qualité et les bienfaits de cette nourriture. Kurt LEWIN a dénommé ceci « l’effet de gel » : la décision, une fois prise (grâce à l’influence groupale) gèle le système des choix possibles et amène une adhérence de la personne à son choix.

 

Un cran plus loin, on aperçoit que l’engagement dans un acte non conforme à nos opinions va conduire à un changement de ces idées afin de rationaliser l’acte. Les fraîchement et brusquement convertis sont les plus prosélytes et les plus ardent défenseurs de leurs nouvelles convictions : ils ont besoin de justifier fortement leur retournement afin d’éviter la dissonance interne.

 

Faibles stimulations = fort engagement

Suite à notre décision initiale, l’engagement dans l’opinion destinée à justifier celle-ci sera plus fort si les stimulations (récompense-punition) sont faibles, et ne suffisent pas à légitimer notre comportement. En effet, nous sommes alors contraint à faire appel à une rationalisation, et celle-ci est encore plus ancrée si elle inclut le sentiment de notre libre choix.

 

Si la personne qui prescrit l’acte argumente abondamment pour expliquer son injonction, cela devient l’équivalent d’une forte pression, et provoque donc peu d’engagement. Si la personne qui exige une action offre une forte récompense, on trouve aussi ce même résultat. Dans tous ces cas l’ordre sera probablement exécuté, mais il restera sans suite et sans conséquence car celui qui l’a subi se sentira peu engagé.

 

Inversement une absence de menace et une récompense faible permettent que l’acte « choisi » par la personne l’engage fortement : ne pouvant s’appuyer sur une justification extérieure de son comportement (profit, sanction), elle va en trouver une intérieure.

 

Si cette explication interne s’accompagne du sentiment de liberté (et donc, en l’occurrence, que la directive donnée par le dirigeant soit assortie d’une déclaration indiquant qu’on est libre d’y souscrire ou non) alors la personne sera encore plus liée à l’intériorisation de cette norme comportementale. « C’est mon choix » produit l’effet de gel indiqué par K. LEWIN, et pousse l’individu dans le processus d’engagement.

 

Exemple simple : un employé s’inscrit à une Formation, bon gré mal gré, poussé par sa direction.

 

Le formateur commence d’emblée la première session par la déclaration suivante : « Dites-moi franchement si vous êtes toujours d’accord pour participer. Je comprendrai très bien que ce ne soit plus le cas… c’est à vous de voir ». L’employé dispose, en réalité, d’une faible marge de manœuvre mais s’il accepte de faire « librement » ce choix proposé par le libéral animateur, il a beaucoup plus de chances de s’engager franchement et « de lui-même » dans cette formation pourtant bien peu voulue au départ.

 

Résumons-nous : demander à quelqu’un de faire quelque chose pour nous, sans aucune menace, avec une faible récompense, et très peu de justifications de notre demande, amènera beaucoup plus probablement, à terme, un véritable changement de notre interlocuteur. Surtout si son premier acte est assorti d’une désignation positive de notre part (« tu es tellement… compréhensif-attentif -positif –etc. ».

 

Sortons du contexte manipulatoire pour terminer. On peut tirer les conclusions suivantes sur ce qui favorise l’harmonie relationnelle :

  •   motiver plutôt que forcer,
  •   respecter le sentiment de liberté,
  • faire que la personne débouche par elle-même sur la conclusion (en lui indiquant, par exemple, nos ressentis face à tel attitude. Cf page 59) plutôt que lui livrer notre propre jugement ou idée. Signaler « il y a une marche devant la porte » a une meilleure portée à long terme que conseiller « attention à la marche ».

 

 

RESUME

 

  • †Nos actes et nos décisions possèdent un effet de gel, surtout s’ils sont posés dans le contexte du sentiment de liberté, qui conduit à la persévération dans cette voie
  • La persévération dans l’acte et dans la décision amène une adaptation des opinions qui se mettent alors en conformité afin d’éviter la dissonance cognitive
  • †Plus l’acte posé est non conforme à mes idées, plus ces idées vont changer et déboucher sur de fortes convictions nouvelles
  • Plus faibles sont les justifications externes pour expliquer l’acte posé (récompense, punition), plus fort sera l’engagement interne destiné à justifier le comportement. Une forte récompense n’amène ainsi qu’un faible engagement
  • Sorti du contexte manipulatoire, on débouche sur l’intérêt de : motiver, respecter la liberté de l’autre, permettre qu’il accède par lui-même aux conclusions. Paradoxalement ces conditions sont les plus « efficaces » pour un changement véritable de l’autre.

 

 

LES  VALEURS

 

1. Au sommet de la hiérarchie de ce qui nous fait agir se trouvent les Valeurs. Ce sont les seuls motifs qui nous conduiraient presque à mourir s’il le fallait. Celui qui contrôle ce niveau maîtrise les autres (gourous, chefs spirituels, chefs de guerre, etc.)

 

Mais heureusement c’est aussi le secteur que nous protégeons assez bien, en temps habituel.

 

Les valeurs induisent des critères d’évaluations (ceci est bien, ceci est mal) qui eux-mêmes conduisent à mettre en exergue certains faits et à établir ainsi un filtre perceptif.

 

Par conséquent dans la relation à l’autre, il sera important de comprendre sur quels faits il se base lorsqu’il donne telle opinion, afin d’en déduire les critères qui sont les siens et éventuellement les valeurs à respecter qui se situent derrière ces critères. « A quoi tu vois ça ? Comment tu vois ça ? » seront des questions toujours pertinentes et dont les réponses seront parfois surprenantes.

 

« Je trouve que tu ne t’occupes pas assez de la famille ! »  « Oui ? A quoi tu vois ça ? » Voilà un bon démarrage pour une discussion utile. Efforcez-vous le plus longtemps possible de comprendre le vécu de l’interlocuteur à travers les faits qu’il a triés et interprétés.

 

2. Mais nos Valeurs ne sont que très relativement les nôtres durant notre première partie de vie. Elles sont liées, en effet, à l’Idéal du Moi. Cette partie de notre psychisme est dépositaire des Idéaux qui nous animent. C’est l’échelle de référence en fonction de laquelle le Surmoi (sorte de juge interne) va estimer si le Moi se comporte correctement et s’oriente dans le bons sens.

 

Or ces deux instances, le Moi et l’Idéal du Moi, se sont toutes deux constituées à partir de l’environnement dans lequel nous avons baigné durant notre enfance. Ainsi le Moi est-il construit principalement autour d’identifications (au père, à la mère, etc) ; et l’Idéal du Moi a récolté les valeurs familiales et celle de l’environnement important (grands-parents, école). En résumé, les deux parties constitutives de notre identité première sont totalement imprégnées des qualités, défauts, jugements, principes, etc, de notre famille d’origine.

 

Par conséquent, durant tout un premier temps de vie le personnage que nous sommes, et les repères idéaux sur lesquels il se fonde, n’a que peu à voir avec notre être véritable. Toutefois il se révèle nécessaire, car il construit ainsi une sorte de coque, à l’intérieur de laquelle le noyau de notre être peut se développer en sûreté.

 

Reste qu’à un moment donné la coque, comme pour un marron, un abricot, ou une noisette, doit se fracturer pour qu’émerge le noyau qui donnera un arbre. La coque ne pourra jamais être à l’origine de l’arbre ; notre « personnage » ne pourra jamais nous apporter le sentiment d’une vie réalisée, conforme à notre axe de vie.

 

Aussi y a-t-il nécessité du passage par une grande crise des valeurs, celles du personnage, fortement marqué par le regard de l’autre, pour déboucher sur l’émergence du noyau de notre essence… si fragile et si craintif lorsqu’il commence juste à prendre racine. A cette lumière la crise dite de mi-vie (qui peut se situer à des âges très divers, mais qui généralement tourne autour des 40 ans) est indispensable, souhaitable, créatrice. Lorsqu’elle débouche sur des choix identiques aux précédents et sur un renforcement du personnage, une nouvelle crise arrive généralement, dix ans plus tard, bien plus forte.

 

Bref durant tout un  temps nos Valeurs sont moins personnelles que nous ne le croyons et sont donc assez malléables (parce que peu enracinées).

 

L’Idéal du Moi est influencé particulièrement dans les situations groupales. Le groupe, avec sa contagion émotionnelle induit un dépôt de chaque Idéal du Moi individuel sur le leader du groupe. Celui-ci représente la tête du corps groupal imaginaire créé par la porosité des frontières de chacun. Un groupe est une entité qui dépasse la somme de ses individus.

 

Or le vécu groupal commence dès qu’il y a deux personnes en interaction étroite (les amoureux ; l’hypnotiseur et l’hypnotisé ; le médecin et son patient, etc). Si le groupe est large, les liens entre les participants n’ont pas besoin d’être forts pour que l’effet existe. Donc de deux jusqu’à la foule nous sommes baignés dans de nombreuses situations où nos idéaux peuvent subir l’ascendant de l’Autre. D’où l’importance dans un couple de l’influence mutuelle et du partage des Valeurs communes qu’elle induit. Là se solidifie une adhérence puissante, plus importante généralement que nous ne le croyons. Les déstabilisations fortes qui suivent un divorce le montrent a posteriori.

 

3. Les Valeurs sont d’autant plus farouchement soutenues que leur validité est incertaine. Exemple-type : les guerres de religion. Qu’y a-t-il de plus incertain que la définition de Dieu ? Par conséquent, dans les domaines où la réalité ne peut être ni prouvée ni perçue on trouvera les convictions les plus fanatiques.

 

Il s’agit de s’assurer de la validité de ses repères et croyances en amenant les autres à affirmer que celles-ci sont bien véridiques. Trouver dans le regard de l’Autre, fût-ce par l’extorsion la plus violente, ce qu’on n’est pas très sûr de pouvoir découvrir en soi. Dans cette ligne, on peut dire que le fanatisme et l’intégrisme démontrent l’incertitude de ces gens quant aux Valeurs qu’ils tiennent à imposer… !

 

Prenons l’exemple des terroristes islamistes actuels. Que voit-on ? Ils font partie d’un groupe de référence auquel ils sont fortement liés ; ils possèdent un leader (le mollah) et un lieu pour se retrouver avec lui ; ils ont un ennemi clairement désigné (tout le mauvais est à l’extérieur, quel soulagement ! Registre paranoïaque du clivage du mauvais et du bon). Les récompenses à venir sont invérifiables et d’autant plus investies afin de leur donner une validité (les dizaines de vierges qui les attendent après leur mort). En observant ces diverses conditions on voit d’ailleurs que plusieurs éléments se retrouvent dans toute Armée en guerre :

 

  • des hommes jeunes aux Valeurs influençables,
  • œun groupe de référence, un leader,
  • œun ennemi clairement désigné,
  • un idéal espéré après la mort (devenir un héros).

En conclusion, c’est le recours aux Valeurs et l’influence de celles-ci qui peut conduire à être obéi même pour des ordres tels que « Va te tuer et tuer les autres » (cf. les suicides collectifs de sectes). N’importe quelle autre forme de pression ou d’influence échouerait à se faire obéir dans des domaines aussi cruciaux que la vie et la mort.

 

 

RESUME

 

  • †Durant une première partie de vie nos valeurs sont héritées de notre environnement et restent influençables. Cette étape est nécessaire, car la coque du « personnage » doit se former afin que le noyau de la « personne » puisse grandir dans son abri
  • Une crise de valeurs est indispensable pour qu’advienne le noyau de notre vie, que s’enracine notre essence, et que se dessine notre axe de vie spécifique
  • Les Valeurs sont le niveau le plus élevé d’influence. Un couple se solidifie grâce à la constitution de valeurs communes : au delà de la communication conflictuelle, c’est là que se trouve l’enjeu principal

 

CONSEILS  DE  SURVIE

 

 

Préambule

Mais alors pourquoi, dans cette panoplie, utilise-t-on avec nos proches le mode le plus ridiculement inefficace : crier, pester, mettre le nez de l’autre dans son négatif, culpabiliser, désigner négativement, insister sur ce qui « ne doit pas être fait », renforcer la pression face à la résistance de l’autre, menacer, surveiller, punir… Les conséquences de ces comportements sont exactement à l’inverse du but attendu: renforcement de la résistance, accentuation du négatif, faible adhésion de la personne aux actes qu’on exige d’elle, etc. Pourquoi faisons-nous ainsi ?

 

Parce qu’en nous, comme il a été indiqué dès le premier chapitre, l’infantile est tellement présent. Quel que soit notre âge, l’Enfant en nous exige que l’environnement soit à sa disposition et conforme à ses attentes.

  1. Parce qu’en nous, comme il a été indiqué dès le premier chapitre, l’infantile est tellement présent. Quel que soit notre âge, l’Enfant en nous exige que l’environnement soit à sa disposition et conforme à ses attentes.
  2. Ajoutez à ceci l’adhérence à nos habitudes comportementales, même si elles sont totalement nuisibles (viscosité psychique).
  3. Et c’est plus particulièrement avec nos proches que nous pouvons laisser se montrer nos désirs et refus d’enfant.

Que faire face à cela ? Il s’agit de développer un Adulte interne suffisamment fort et lucide pour contrôler l’Enfant dans son avidité à faire de l’autre un objet à modeler.

 

On voit qu’il s’agit là d’une tâche autrement plus profonde qu’un simple volet communicationnel. Si ce dernier est indispensable, il n’est rien cependant sans l’évolution interne de chacun vers une maturité véritable et pour laquelle nous n’avons pas trop d’une vie… ou d’une demi-vie.

 

 

 

Conseils

 

Face à chaque argument trouvez un contre-argument fort, auquel vous puissiez adhérer. Il est en effet nécessaire que vous puissiez d’abord vous convaincre vous-même.

 

Puis écrivez les Valeurs fortes qui justifient d’adopter une nouvelle attitude.

 

Exemples :

  • Autonomie (permettre que chacun de vous ait son autonomie),
  • Liberté (que cette valeur trouve sa place relationnellement),
  • Respect, Amour mutuel, ambiance familiale d’amour … etc. …

Acceptez de laisser ainsi une marge de liberté. N’hésitez pas à prendre le risque de cette phrase magique : « Ne le fais que si tu te sens d’accord ».

 

Et si l’autre change visiblement, n’allez pas l’effrayer en lui faisant remarquer qu’il évolue bien ou en voulant le récompenser ostensiblement…

 

Rappelez vous l’histoire de la capture des petits singes. On met du riz dans une noix de coco percée d’un trou, et on attache cette noix de coco à un tronc d’arbre. Le singe réussit à glisser sa main par le trou mais, une fois celle-ci pleine de riz, il ne peut ressortir son poing fermé. Il a beau tirer de toutes ses forces, pas moyen. On peut alors aisément le capturer, car il n’a pas l’idée de lâcher prise sur ce qu’il a trouvé, seul choix possible  pour s’enfuir.

 

« Escalade de l’engagement » dans la première décision, « solution » qui crée le problème. La créativité libératrice passe généralement par une attitude qui va à l’inverse de ce que nous faisons habituellement. Tentez le coup : durant une semaine, faites exactement l’inverse de ce qui vous semble normalement la solution de bon sens… et observez ce que ça donne.

 

Il arrive souvent en retard, avec de vagues raisons, et vous l’attendez furieuse ? Appliquez-vous, quelques soirs imprévisibles, à arriver plus tard que lui, confuse et un peu embrouillée dans vos explications. Vous verrez qu’il comprend infiniment plus vite, de cette façon, ce que vous vous tuez d’habitude à lui expliquer. Mais surtout ne vendez pas la mèche, ça gâcherait tout…

 

De toute façon, cette manière de procéder doit être réservée aux comportements chroniques, indécrottables, et véritablement trop lourds à supporter.

 

Rappelons cependant, pour finir, que le contexte à établir pour que tout ceci soit mobilisateur et fertile reste un fond relationnel basé sur :

 

* Affection manifestée                       * Valorisation de tout ce qui peut l’être

 

* Pas de pression forte                      * Partage de vos valeurs

 

En conclusion de ce chapitre un constat s’impose, à la lumière de tout ce qui vient d’être dit  (Actes et Opinions) : ce Manuel vous sera plus utile si vous pratiquez les exercices et conseils, que si vous êtes simplement intéressé ou même convaincu par sa lecture ! Vos expériences, et les ressentis personnels qu’elles amèneront, auront beaucoup plus de poids, et vous permettront de bâtir votre propre opinion. Celle-ci sera alors plus intégrée qu’un texte bien compris.