
LE COEUR MÉTAMORPHE CHAP.5
Jean-Marc HENRIOT Fondateur de l’Ecole AIDE Psy
Réussir sa vie, c’est aussi se donner les chances d’établir des relations heureuses avec autrui et avec nous-même, et bien vivre nos comportements affectifs. Cela suppose un préalable : décrypter notre complexité psychique et émotionnelle apparente. Notre psychisme est constitué de différentes personnalités. Fruit de nos expériences, il abrite aussi l’enfant que nous étions, l’image de nos parents et des figures marquantes de notre histoire, les rôles que nous avons joués… Le cœur métamorphe désigne la possibilité de gérer cette incroyable mosaïque interne, qui détermine nos attitudes et qu’il nous appartient donc d’explorer et d’organiser, pour évoluer. Ce manuel synthétique et pratique expose des notions psychologiques fondamentales et leurs manifestations au quotidien. Exposés clairs et structurés, exemples, résumés et nombreux exercices nous permettent de découvrir notre boussole interne dont le nord magnétique serait l’équilibre émotionnel. Accepter de se voir tels que nous sommes, c’est saisir une occasion de créativité et d’ouverture humaine.
CHAPITRE 5. PARADOXES DE L’AMOUR
Voilà. On a tenté de se comprendre mutuellement, et d’accepter l’idée que l’autre ne fonctionne pas comme soi-même. Reste à s’engager dans l’aventure, périlleuse et palpitante, de la relation amoureuse. Et malgré ma volonté de synthèse, il m’a été nécessaire d’utiliser deux chapitres pour aborder la question délicate de la vie du couple.
LE POIDS DE L’ENFANCE
Certains aspects difficiles de notre enfance vont être à l’origine de toute notre problématique de couple.
L’effet ZEIGARNIK
Tout d’abord notons que les tâches non terminées ont un statut particulier dans notre psychisme. Elles restent, en effet, porteuses d’une pression, d’une tension, d’un besoin de terminaison. Ceci se nomme l’effet ZEIGARNIK, du nom de la psychologue américaine, membre de l’équipe de Kurt LEWIN, qui l’a démontré. Il se caractérise par le constat suivant : quand nous avons vécu entièrement une situation et que nous avons exprimé complètement l’émotion, alors nous pouvons passer à une autre étape ; inversement si nous n’avons pas pu terminer intégralement cet acte, celui-ci nous reste en mémoire, consciemment d’abord, puis inconsciemment, en attente d’être fini.
Un exemple, celui du deuil, en permettra l’illustration. Paradoxalement la personne « forte », qui réfrène ses émotions dans cette circonstance, qui fait bonne figure, ne veut pas accorder trop d’importance au fait, ou dénie celui-ci (« le mort n’est pas disparu ; je lui parle tous les jours, il est avec moi ; inutile donc de pleurer et d’être triste »), cette personne risque de vivre un « deuil interminable ». Minée à son insu par cette poche de douleur et de désespoir non vidée, non reconnue, elle va se trouver accrochée des années durant, et peut-être même le reste de sa vie, à l’impact de ce décès. Elle n’a pas véritablement vécu son épreuve ; ni effectué la lente traversée l’amenant du désespoir initial aux rives d’une acceptation paisible, issue d’un vrai cheminement intérieur, et permettant en définitive d’accepter que le défunt est bien mort, cependant que le vivant a sa vie à vivre (on dit que le deuil se termine quand on a réussi à « tuer le mort »).
Ainsi la tâche inachevée devient-elle ensuite une trace interminable, qui oriente inconsciemment le psychisme et le comportement. Les Gestalt Thérapeutes insistent beaucoup sur cette notion : notre progression est entravée par ce qu’ils appellent les « unfinished business ».
L’aspect étrange de tout cela c’est que vont subsister en notre mémoire, et sous tension énergétique, à l’intérieur de nous-même, toutes les situations mal gérées, non digérées, alors que les autres périodes (les bonnes époques, qui ne nous ont pas posé problème) vont se trouver beaucoup plus oubliées puisqu’elles n’ont pas pris le statut de tâches non terminées ! Il nous reste donc sur le cœur, en priorité, toutes les souffrances et difficultés qui demandent encore à être discernées et traitées… On comprend que Fritz PERLS, le créateur et auteur de « Ma Gestalt thérapie », ait sous-titré son livre « dans et autour de ma poubelle ».
Le « traumatisme » psychique acquiert ce statut par le fait même qu’il n’a pas pu donner lieu aux mots et aux émotions pertinentes le concernant, d’où l’importance, pour les victimes de situations bouleversantes, de pouvoir exprimer en détail leurs ressentis. Il existe donc une inscription interne de divers traumatismes qui demandent à être décelés et soignés. Ils insistent pour qu’on en termine avec eux, et vont par conséquent orienter nos attentes inconscientes.
Les sub-personnalités refusées
D’autres aspects font pression pour être eux aussi reconnus et acceptés : il s’agit de tous les traits de caractère que nous avons dû minorer, repousser, lorsque nous avons développé notre propre personnage. Si j’ai choisi d’aimer l’ordre, mon désir de désordre va être refoulé chaque fois qu’il cherchera à se faire entendre. Si je suis diplomate et gentil, je n’accepterai guère de voir en moi des tendances agressives et intransigeantes. Et ainsi de suite. Cette polarisation psychique (un pôle mis en valeur et son contraire refusé et rejeté) va conduire au fait que mon ombre, la partie de moi inverse de ce que je mets habituellement en lumière, va chercher à être identifiée, vue, admise, prise en compte.
En bref pour me constituer psychiquement j’ai dû instaurer des choix et je récolte en conséquence une tension interne, car les traits refusés cherchent à prendre le pouvoir. Je suis sorti du tout indifférencié et j’ai ainsi développé ma personnalité ; mais ce cheminement a entraîné, de lui-même, structurellement, un conflit interne latent entre majorité et minorité, et une certaine nostalgie de la paix que procurait l’entièreté initiale non organisée.
Le choix du partenaire
Comme lorsque nous jouons aux cartes, toutes ces donnes initiales (de l’enfance) vont fortement orienter la partie ultérieure (de l’adulte). Et le genre de personnes dont nous tomberons amoureux sera plus délimité que nous ne l’imaginons.
En effet, qu’est-ce qui nous meut à notre insu et qui va déterminer notre choix affectif ?
1) la nostalgie de la fusion primaire avec la mère. Cet imaginaire d’une totale fusion s’appuie sur les vécus archaïques du bébé au sein de sa mère, et peut-être même ceux du fœtus. La première empreinte de ce que sera « l’amour » est ainsi, chez les deux sexes, liée à la qualité de la relation avec l’imago maternelle primaire. Si bien que dans la relation amoureuse de la femme pour un homme, on trouvera certes une composante liée au style paternel, mais aussi une partie rattachée à l’image maternelle. Sous le mari, la mère…
2) les traumatismes , dûs notamment aux manques dans les relations aux ascendants, en particulier le parent oedipien.
Certains déficits présents depuis notre enfance exigent d’être comblés. La fille dont le papa se montrait froid et distant sera en attente d’un homme capable de chaleur et de proximité. MAIS, c’est là le hic, marquée inconsciemment par un certain profil relationnel d’enfance, elle ne se sentira émue et ne tombera amoureuse que d’hommes froids et distants comme son père. A ses yeux, ils auront un charme incomparable (le beau ténébreux, l’homme fort, etc.) cependant que les partenaires chaleureux lui paraîtront inintéressants (gentils mais collants, vulgaires, nunuches, etc.)
Au fond le mécanisme s’organise ainsi : elle sera séduite par un homme porteur des traits de caractère parentaux qui l’ont fait souffrir, mais désirera connaître avec son amoureux le coup de baguette magique tant espéré par l’enfant qu’elle était. L’homme froid et distant devra devenir, par amour, chaleureux et proche, transformant ainsi l’imago paternelle et la situation d’enfance.
Tout se passe comme si l’inconscient se débrouillait pour remettre en scène la situation traumatique (non terminée) dans le but qu’elle trouve la fin heureuse, le happy end tellement souhaité.
Le garçon doté d’une mère intrusive, autoritaire, agressive, trouvera beaucoup de charme, une fois adulte, aux femmes dans ce genre. Elles lui apparaîtront fortes, déterminées, ayant du caractère, etc. Cependant que d’autres personnes de style doux et respectueux lui sembleront sans consistance, bêbêtes, ou autre qualificatif négatif. Son but : créer un lien amoureux avec une femme dont les traits de caractère répèteront le traumatisme relationnel MAIS pour laquelle l’amour partagé amènera un changement. La sorcière sera remplacée par une douce princesse, le crapaud deviendra le beau prince : les contes expliquent bien ce que l’inconscient attend du baiser d’amour. Il escompte que le partenaire, élu pour les traits négatifs qu’il partage avec le parent problématique, change et devienne l’inverse de ce qu’il est, réalisant ainsi, sur une autre scène, celle de l’âge adulte, le vœu de l’enfant souffrant.
On devine que tout cela va se révéler compliqué.
3) le charme du complémentaire En constituant son caractère, la personne a refusé certains autres aspects. Sans le savoir, elle souffre d’avoir ainsi réduit son espace. Etre amoureuse d’un autre, qui a développé de son côté les composantes inverses, procurera ainsi le sentiment de retrouver son intégralité psychique.
Si bien que le conjoint présentera souvent un style complémentaire-opposé. L’individu agressif va s’allier à une personne diplomate et arrangeante. Quelqu’un au style « distant, fermé, indisponible » aura une épouse « proche, ouverte, chaleureuse ». L’ordonnée choisira un compagnon pour qui le désordre c’est la vie.
Cela vous paraît surprenant ? Faites le test suivant : imaginez à quoi peut bien ressembler le partenaire d’une personne dont vous venez de faire la connaissance. La plupart du temps vous aurez tendance à penser qu’il va y avoir une ressemblance entre les deux (et c’est vrai généralement sur quelques points, en particulier le milieu social d’origine). Or vous serez surpris de ce que vous allez découvrir car l’autre se révèlera couramment le complémentaire, c’est à dire l’antithèse, plutôt que le similaire. Et ceci jusque dans la morphologie : la très petite sort avec un immense ; la toute raffinée a pour compagnon un ours barbu, poilu, et négligé ; la forte est flanquée d’un gentil poisson-pilote effacé, etc.
Même si je caricature légèrement, vous verrez qu’en connaissant plus intimement un couple vous serez inévitablement frappé par ces différences.
Toutefois cela ne dépeint qu’une couche apparente. En profondeur les deux partagent globalement un même profil, ou du moins des traumatismes similaires. Exemple : les deux peuvent ressentir une forte crainte d’abandon, mais en surface l’un se défend par une attitude collante-gentille (pour ne pas être exclu) et l’autre par une conduite distante-agressive (pour rejeter soi-même, avant de subir une mise à l’écart). Même problématique sous-jacente, et mécanismes de défense opposés : les voilà prêts à être mutuellement séduits.
Il est sans doute choquant d’imaginer que nous tombons amoureux d’une personne dont le style présente de nombreux points communs avec les traits « négatifs » du parent, et qui manifeste les aspects caractériels que nous avons reniés. On aperçoit cela beaucoup plus facilement chez les autres qu’en soi-même !
Mais le côté désagréable de cette mécanique psychique, capable d’orienter le doux sentiment d’amour, est contrebalancé par deux points forts :
1) les mythes fondateurs,
2) les valeurs partagées.
Chaque couple est bâti autour de mythes d’origine (« nous étions faits l’un pour l’autre, rappelons-nous tel souvenir, circonstance, ou vécu ») et ceux-ci doivent impérativement être respectés sous peine de failles irrémédiables dans le couple. Par ailleurs les valeurs identiques (concernant la famille, la religion, l’argent, ou quelque chose d’important) créent un liant susceptible de maintenir les deux partenaires lors du parcours difficile qui les attend, une fois passé l’enchantement initial.
On croit donc choisir quelqu’un de radicalement différent de ses parents… et dans la plupart des cas on se retrouve peu à peu avec les conditions-mêmes de sa famille d’origine. Cela tient aussi à l’action de nos attentes inconscientes, qui induisent progressivement les anciens comportements sources de souffrance.
RESUME
Des aspects de notre enfance font pression dans notre style adulte. Les situations déficitaires demandent à être enfin comblées, les traits de caractère refusés veulent trouver leur place. Ceci va orienter le choix amoureux. Le partenaire élu devra :
1) Ressembler aux aspects négatifs du parent afin que la situation traumatique initiale soit rejouée, dans l’espoir de s’achever d’une manière heureuse ;
2) Etre doté des traits psychiques reniés, avec l’attente que la fusion amoureuse reforme ainsi une globalité contenant les opposés.
On tombe amoureux de personnes précises qui ont :
- des points communs avec nous (valeurs, milieu social, problématique profonde)
- et parallèlement un profil qui :
a. les apparente à la situation traumatique rencontrée précédemment ;
b. les montre dotées d’un style complémentaire du nôtre.
Si ce n’est pas le cas, le couple peut éventuellement se créer mais l’intensité d’amour y sera nettement moindre, et d’une autre tonalité (cf. les mariages de raison)
LA PASSION (amoureuse ; guerrière)
Période initiale
La merveilleuse période du début se déroule exactement sous le signe des contes de fées. Le crapaud s’est transformé en prince par la magie du baiser.
Comme les deux amoureux décèlent, durant cette époque, les moindres attentes de l’autre, chacun trouve les moyens pour être le séduisant partenaire idéal, capable de tout comprendre, tout entendre, tout accepter.
De fait, la levée du sort se trouve enfin réalisée : le partenaire froid et distant se montre chaleureux et proche ; la femme intrusive et autoritaire peut se comporter avec respect et tolérance ; l’ordonnée trouve « si vivant » le joli désordre qui règne chez son ami, etc.
L’enfant intérieur de chacun est comblé, et la sexualité de ces deux adultes peut se donner libre cours, sans être encombrée de vieilles rancœurs ou d’usure du quotidien. C’est la joie de se sentir enfin, mythiquement, complet, rassasié, comblé. On stocke des souvenirs qui constitueront le fond positif dans lequel puiser aux jours de disette ultérieurs. On remplit la cassette au trésor. On éprouve de la gratitude envers l’autre et envers la vie.
Après l’engagement
Mais bientôt, notamment après l’engagement (l’achat de la machine à laver commune), la situation va lentement se compliquer. En effet s’enchaînent les maillons suivants :
1) Chacun attend que le miracle continue à s’accomplir, et que l’autre reste au service du besoin de son enfant interne : il faudrait qu’un seul des deux récolte toute l’attention et l’énergie. (Parfois un couple dit : « Nous ne faisons qu’un » et présente l’apparence d’une très bonne entente ; en réalité, cela se produit au détriment secret d’un des deux. D’où la réponse : « Vous ne faites qu’un, mais lequel ? »)
2) Cette dégradation est d’autant plus dure à accepter que la période précédente a pu donner l’illusion d’en avoir enfin terminé avec le manque et la souffrance. Le bambin blessé, auparavant comblé, va se mettre à hurler intérieurement. Peut-on s’exiler facilement du Paradis ?! Pas question de ça, dit l’enfant qui cherche alors à prendre les commandes.
3) Il exige donc que l’autre continue à se trouver exactement à la place prévue, dans le comportement convenable, celui qui va précisément s’ajuster à la forme du trou dans le cœur dont nous sommes porteurs.
L’autre, nié dans sa variété d’existant, réduit à sa fonction de boucher-le-trou-du-traumatisme, va devenir de moins en moins souple et tolérant.
4) Les traits négatifs (ceux qui ressemblent au parent, et ceux qui sont reniés en soi) deviennent assez insupportables. Ainsi ce sont les aspects mêmes qui nous avaient séduit initialement qui deviennent les plus détestables. Les uns parce qu’ils rouvrent la blessure d’enfance, les autres parce qu’ils mettent mal à l’aise nos choix comportementaux et de caractère. Le prince redevient crapaud, le beau ténébreux n’est plus qu’un égoïste indifférent, et la sublime au caractère déterminé ressemble désormais à une virago inflexible.
5) Alors apparaît graduellement cette impression : le couple va devenir le lieu des souffrances les plus intenses puisqu’il nous replonge dans ce qui a été le plus violemment insupportable. Ce que nous livrions à l’autre, pour qu’il le soigne, est devenu la plaie sur laquelle le partenaire verse de l’acide par le simple fait d’être comme il est… ce pour quoi nous l’avions précisément élu !
La distance X
Autre point troublant qui n’était pas apparu précédemment : un concensus inconscient existe entre les deux membres du couple sur une espacement optimal entre eux. Ni trop proche (peur de s’y perdre, d’être dévoré ou envahie) ni trop loin (défusion, solitude, tristesse). Or cette distance, différente d’un couple à l’autre, se présente sous forme rigide. Elle avait pu être à peu près flexible et variable durant la lune de miel, mais elle retrouve désormais sa consistance, d’autant plus qu’elle a été un élément majeur du choix amoureux initial. S’il y a bien une chose sur laquelle les deux sont inconsciemment d’accord, c’est celle-ci ! Un phobique du contact sera séduit par une femme apparemment très à l’aise, alors que pour elle il s’agit d’un mécanisme de surface (hystérique) destiné à masquer sa grande peur du rapproché. En fait tous deux sont similaires, en phase pour garder ensemble une distance dans laquelle la valeur de X est élevée.
Alors ?!… Il ne devrait pas y avoir de problème ! Malheureusement si. Certes ils consentent tous deux à rester secrètement éloignés néanmoins l’adulte conscient de chacun souffre d’avoir si peu de contact, si peu de chaleur ; et l’enfant blessé en eux aspire à vivre l’union proche et étroite dont il a besoin, qui lui a manqué, mais qu’il ne peut supporter longtemps sans paniquer, non habitué qu’il est à vivre à ce niveau d’intensité. Total : ensemble ils ont peur de l’intimité, ils s’efforcent en chœur de l’éviter, conjointement ils en souffrent, mais clament à l’unisson que ce qui leur manque c’est précisément un lien plus intime, plus vrai, plus nourrissant.
Nous voici dans une situation propice à la douleur : le niveau profond ne peut supporter la gratification d’un puissant attachement ; mais ce refus reproduit ainsi la meurtrissure d’enfance ; et « l’adulte » ressent alors une disette affective désespérante, dont il aimerait sortir.
Concrètement cela se voit ainsi : dès que l’un se rapproche, l’autre (en toute inconscience) s’éloigne ; et vice versa. Et lorsqu’ils ont en perspective un super bon moment d’intimité, quelque chose va venir gâcher la situation, comme par hasard…
Tous les couples doivent résoudre cette question de la bonne distance entre fusion et séparation. Mais lorsque les conjoints sont porteurs d’une fêlure dans le domaine de la relation d’amour la plus profonde (liée aux toutes premières expériences de la petite enfance), tous deux vont se choisir pour cette similitude, partager inconsciemment une grande crainte de l’intimité, et souffrir mutuellement de ne pas pouvoir la dépasser.
Nous verrons plus loin que ceci ne peut se régler que par une gestion fine des relations personnelles entre « l’Adulte » et « l’Enfant » internes. D’ici là… souffrance garantie ; au point que chacun va se sentir sérieusement tenté de vivre seul plutôt qu’en couple.
L’entrée dans la lutte de pouvoir
Puisque l’autre ne donne plus satisfaction, la tentation sera de l’obliger à fournir ce qu’il accordait tout d’abord de plein gré. Graduellement on va rentrer en lutte, avec tous les moyens possibles, pour tâcher de :
1) forcer l’autre à rester conforme à ce qu’il était auparavant ;
2) résister aux pressions que l’autre effectue de son côté.
Quel méli-mélo : au nom de l’amour, chacun sort ses armes. Les critiques, les insultes, les mimiques méprisantes, les interprétations sauvages, les remarques vexantes « mine de rien », etc., etc., tout est convoqué dans le but de… retrouver le merveilleux amour du début !!! Et l’alternance avec des moments de retrouvailles éclatantes ne fait qu’amplifier le sentiment de douche écossaise. Le psychisme des amants est mis à rude épreuve.
D’autant plus qu’ils vont avoir affaire à un type de communication extrêmement pathogène connue sous le nom de double contrainte. Il s’agit d’un ordre ou d’une pression qui exige en même temps quelque chose et son contraire : face à cette prescription double et contradictoire, l’autre ne sait pas quoi répondre, ni quelle position adopter, et il réagit par un comportement d’apparence insensée, une conduite de « fou », s’il n’est pas en mesure de dénoncer l’aspect paradoxal de la double contrainte grâce à ce qu’on nomme une méta-communication c’est à dire une communication sur la communication. A son insu le couple amoureux rentre, à cette étape, dans une pression de double contrainte. En effet, mû par son besoin, qu’est-ce que transmet chacun ? Deux ordres contradictoires :
- « Sois toi-même – car c’est ce qui me séduit» (les traits de caractères « négatifs » si attirants. Par exemple « froid et distant ») ;
- « Et sois le contraire de toi-même – car c’est ainsi que tu me guéris » (les aspects opposés. Par exemple « chaleureux et proche »).
Ainsi le message implicite se dirait : « Tu dois impérativement, c’est capital pour moi, être toi-même, et spontanément le contraire de ce que tu es ! »
Autrement dit : « Sois le parent négatif, et que ce parent se comporte au contraire de ce qu’il est ». Ou bien : « Sois le porteur des traits de caractère refusés, et renie ces attributs qui te spécifient ».
L’étude des familles dont l’un des membres est très gravement pathologique montre que ce genre de proclamation y prédomine, portée par le parent le plus puissant, et assortie d’une interdiction de dénoncer ce discours perturbant.
Comment être à la fois soi-même (sinon l’autre ne m’aime plus) et le contraire de soi-même (sinon l’autre trouve que je ne l’aime plus) ? Tâche paradoxale, inconcevable, perturbante…
La seule sortie se trouve dans :
1)une communication adéquate, qui permette la méta-communication (« Tu me demandes quelque chose et son contraire ; c’est impossible pour moi d’y répondre ») ;
2) une acceptation de l’autre dans sa différence (il peut être lui-même) ;
3) un don mutuel, alterné, de ce qui est « guérissant » (être le bon parent attendu), grâce à une décision d’adulte mûr et oblatif ;
4) un travail intérieur pour reparenter soi-même son propre Enfant blessé.
En conclusion, l’union amoureuse peut donc être la source du plus grand bonheur mais aussi des plus grandes afflictions. Ces dernières découlent de trois points :
On voit que nous avons là une situation très particulière, mobilisant les affects les plus intenses, le corps le plus intime, les valeurs fondamentales, de chaque membre du couple. Résoudre cette équation, qui remet en scène les points délicats de notre histoire, peut être vu comme la chance privilégiée que nous offre la vie pour atteindre joie, sagesse, tolérance ; et divorcer dès que cela devient trop difficile se révèle souvent une façon de gâcher cette étonnante occasion maturative.
RESUME
Les étapes s’enchaînent ainsi :
- Période initiale. Chacun se sent imaginairement comblé et apaisé. C’est le bonheur, l’accomplissement du conte de fées
- Après l’engagement. La déception de voir que l’autre n’est plus le partenaire « idéal » entraîne le désir de le ramener à son style antérieur, fût-ce de force. Chacun fait pression sur l’autre
- L’entrée dans la lutte de pouvoir conduit à l’étrangeté de vouloir violenter l’autre au nom de l’amour. Le message gravement perturbateur que chacun délivre à son conjoint est à type de double contrainte : « Sois toi-même, en étant spontanément le contraire de ce que tu es »
Peu à peu il se révèle que la passion amoureuse peut entraîner le plus grand bonheur ou la plus grande douleur (au sens où, par exemple, on parle de « la passion du Christ »). Le couple durable devient un exceptionnel chemin de maturation.
Nous voici donc avec une double question :
- comment résoudre l’ampleur de ce combat (d’une autre façon que par la guerre froide) ; autrement dit, peut-on apprendre à bien se disputer afin que cette intensité agressive se mette au service du couple ?
- est-il possible d’accéder à l’aspect bienheureux des premiers temps, maintenant que l’illusion initiale qui les avait permis est dépassée, perdue ? On a découvert que l’autre n’est pas le partenaire « idéal » que nous avions imaginé (et qui n’existe nulle part). Peut-on cependant retrouver les moyens d’être comblés comme nous l’étions alors, par d’autres voies ?
Nous allons continuer autour de ces deux questions.
Mais, pour ce chapitre-ci, passons aux conseils.
QUELQUES CONSEILS
Avant de disposer du mode d’emploi de la dispute, je vous propose de débuter par des observations. Tout ceci peut être expérimenté, si vous ne vivez pas en duo, avec les collègues et proches que vous côtoyez régulièrement
1) Les autres
Commençons facile. Regardez les couples autour de vous. Analysez les différences, les complémentarités qui caractérisent chacun des deux partenaires. Amusez-vous à faire une classification simpliste mettant bien à jour l’aspect « pièces du puzzle qui s’emboîtent ». Le côté ludique vous permettra de passer à l’étape suivante :
2) Votre conjoint
- Voyez quels sont les points qui spécifient les complémentarités-oppositions entre vous. Aidez-vous pour cela de « ce qui m’agace en l’autre » ; il s’agit en général du contrepoint de ce que vous êtes.
- Notez comment ces aspects vous rappellent des traits de caractère de vos parents (les deux, mais plus spécialement celui de sexe opposé)
- Déduisez, à partir de là, ce dont vous avez souffert dans votre enfance, du fait même de ces particularités parentales.
3) Votre enfant interne
Une fois par semaine (plus si vous pouvez) faites un travail de « déplacement » (du présent vers le passé)
- suite à un conflit ou un accrochage (que celui-ci ait été initié par l’autre ou par vous-même) :
- laissez venir un souvenir d’enfance dont la tonalité présentera un rapport avec la situation, et aussi avec ce que vous avez ressenti en profondeur à ce moment-ci (sous la surface de la colère apparente, dans le cas où celle-ci a occupé le devant de la scène)
- Puis mettez à jour ce dont vous auriez eu besoin à cette époque-là, et qui vous a tellement manqué, au point que c’est encore présent dans votre vie
- concluez intérieurement, en allégeant la charge de vos attentes sur l’autre. Dites-vous que vous avez à vous préoccuper vous-même des besoins de cet Enfant (on y reviendra), et ressentez un peu de compassion pour votre partenaire : quoiqu’il en semble, il fait ce qu’il peut pour vous accompagner et vous soutenir. Notez les comportements qui manifestent ceci : en quoi cette personne cherche-t-elle à sa manière à vous amener du positif, du bien-être ?
- développez de la gratitude pour ses tentatives, même si elles ne comblent pas l’enfant blessé, ou vous semblent maladroites ; à cette étape essayez de laisser de côté vos rancœurs habituelles, ne serait-ce que pour dix minutes…
4) La météo
Observez comment vous êtes capable des plus grandes variations d’humeur. Dans une certaine conjoncture, vous détestez l’autre et vous vous demandez alors pourquoi faire durer cette relation ; quelques heures plus tard vous pouvez tout aussi bien vous trouver dans un état d’esprit radicalement opposé !!!
Je propose que vous preniez vos humeurs et celles de l’autre exactement comme vous traiteriez des changements météorologiques. « Bon, il pleut, je ne vais pas pester contre cela toute la journée, je saisis un parapluie et je m’en accommode. Ca passera, ça changera forcément à un moment donné, même si j’en doute fort sur le moment » ou « Tiens ! voilà un jour pluvieux ! » sans plus…
Pour finir, calmez vous intérieurement en vous raccrochant à l’idée que ce travail maturatif est forcément long, mais que le but mérite vraiment ces efforts et cette patience.