
LE COEUR MÉTAMORPHE CHAP.1
Jean-Marc HENRIOT Fondateur de l’Ecole AIDE Psy
Réussir sa vie, c’est aussi se donner les chances d’établir des relations heureuses avec autrui et avec nous-même, et bien vivre nos comportements affectifs. Cela suppose un préalable : décrypter notre complexité psychique et émotionnelle apparente. Notre psychisme est constitué de différentes personnalités. Fruit de nos expériences, il abrite aussi l’enfant que nous étions, l’image de nos parents et des figures marquantes de notre histoire, les rôles que nous avons joués… Le cœur métamorphe désigne la possibilité de gérer cette incroyable mosaïque interne, qui détermine nos attitudes et qu’il nous appartient donc d’explorer et d’organiser, pour évoluer. Ce manuel synthétique et pratique expose des notions psychologiques fondamentales et leurs manifestations au quotidien. Exposés clairs et structurés, exemples, résumés et nombreux exercices nous permettent de découvrir notre boussole interne dont le nord magnétique serait l’équilibre émotionnel. Accepter de se voir tels que nous sommes, c’est saisir une occasion de créativité et d’ouverture humaine.
CHAPITRE 1. LA COMPLEXITÉ HUMAINE
DEUX CARACTERISTIQUES HUMAINES
Deux particularités de notre espèce sont déterminantes :
- A)D’une part nous sommes les seuls mammifères dont lapériode d’enfance (dépendance aux parents, apprentissages multiples) dure aussi longtemps.
Contrairement aux animaux nous ne disposons pas, à notre naissance, de codages instinctuels amenant à l’autonomie au bout de quelques semaines ou quelques mois.
Cette contrainte représente à la fois notre richesse et notre limite. Obligés d’apprendre progressivement des comportements qui ne nous ont pas été donnés d’office, nous sommes riches d’un potentiel d’apprentissage quasi illimité. Il en résulte : intelligence, flexibilité, adaptabilité. Pour de tels avantages, devoir rester en position infantile jusqu’à un âge avancé semble d’un coût léger. Mais le prix est plus lourd qu’il n’y paraît : après une si longue période avant d’atteindre l’âge adulte, nous garderons durant notre vie entière un « enfant » en nous. Or « l’Enfant » et « l’Adulte » internes parlent tous deux en notre nom (« je pense que… je ressens que… ») puisque chacun est une partie de notre propre être. Si bien que nous ne sommes jamais très sûrs de savoir qui possède le pouvoir, dans ce duo ; ni dans quelle proportion chacun fait partie du gouvernement psychique en place, lorsque nous prenons des décisions. Imaginez qu’au moment de choix déterminants pour votre vie, vous vous en remettiez à votre fils ou votre fille de 6 ans !
Il semble assez aisé d’apercevoir l’aspect infantile des comportements de l’espèce humaine: quelques heures de télé suffiront, sans parler de nos réactions quotidiennes avec nos intimes ou nos collègues de travail. Reste cependant à finement observer le puéril à l’œuvre à l’intérieur de nous-même, afin d’éviter de gérer notre vie comme des enfants immatures ; puis à découvrir comment le transformer en atout plutôt qu’en source de trouble.
- B) Cette tâche d’observation lucide trouve un obstacle dans notre deuxième caractéristique, celle de« l’amnésie infantile »: une fois adulte, il ne nous reste presque aucun souvenir de tout ce que nous avons vécu entre zéro et sept ans!
Or quiconque se trouve en contact avec un jeune enfant (mettons de 5 à 6 ans) constate aisément qu’il développe ses idées, fait de nombreuses observations, exprime des remarques élaborées. Un petit de cet âge s’est déjà forgé toute une vision du monde : ce qu’est la vie, ce que sont les rapports entre hommes et femmes, ce qu’il est lui-même, etc. Cette représentation du monde s’est construite autour de ses diverses expériences précoces (sa gestation, sa naissance, les formes du lien avec ses parents, les conditions d’éducation, la présence de fratrie ou non, la nourrice, l’école maternelle, etc). Tout ceci a donné lieu, dans l’esprit de l’enfant, à des supputations, déductions, et décisions internes… prises à l’intérieur du cadre limité dont il dispose, mais inscrites désormais dans les « logiciels de base » du psychisme.
Prenons un exemple : si un frère, une sœur, ou un parent décède, le jeune va tirer des conclusions de cet événement dramatique. Il va peut-être se dire qu’il est responsable de cette mort parce que la veille il avait eu telle pensée, telle colère. Il se sentira écrasé de culpabilité. Une fois devenu adulte, il aura oublié la plus grande partie de son vécu autour de cet événement. Peut-être même niera-t-il que cela ait pu avoir de l’importance pour lui. Mais « bizarrement » il subira des échecs, des revers, des déceptions accumulées : autant de façons pour l’enfant oublié de « payer sa culpabilité » en interdisant joie de vivre et réussite.
Autre exemple : voici une enfant qui entend ses parents faire l’amour, ou même qui les aperçoit durant cet acte. Les bruits, les gémissements éventuels, l’action intense : tout ceci la fait aboutir à la conclusion « papa fait du mal à maman ». Une fois adulte cette femme aura peut-être des difficultés sexuelles : au cours de l’acte, l’Adulte voudra jouir de cette situation, savourer le bien-être, cependant que l’Enfant oubliée criera dans l’inconscient « il est en train de te faire mal ! ». Tiraillée entre ces deux tendances elle n’arrivera pas à être vraiment à l’aise. Peut-être devra-t-elle atteindre son orgasme « à l’arraché » (par exemple en se masturbant clitoridiennement) ? Ou peut-être, à sa surprise et à sa déception, ne pourra-t-elle vivre que l’excitation sexuelle, sans arriver « jusqu’au bout » ? On peut aussi découvrir (tous les exemples que je cite sont des cas réels) que le fantasme excitant pour elle sera : « Je suis spectatrice d’un rapport sexuel dans lequel mon partenaire fait l’amour avec une autre femme ». C’est à dire je reproduis, sans le savoir, la situation infantile qui a été choquante, dans le but secret de la dépouiller de son impact. Comme nous le verrons dans un autre chapitre, les fantasmes sexuels ont des liens étroits avec certains vécus traumatisants de l’enfance. L’éros tente alors de rendre bon et positif ce qui avait été ressenti comme percutant et explosif dans le psychisme de l’enfant. Ce qui nous excite le plus, sexuellement, surtout si cela devient obsessif, est généralement ce qui nous a le plus frappé, perturbé, désarçonné lorsque nous étions très jeune.
Ainsi l’amnésie infantile présente-t-elle un inconvénient majeur : tous les postulats de base autour desquels notre psychisme d’enfant s’est structuré avant sept ans nous sont désormais inaccessibles consciemment. Mais ils continuent à fonctionner en sous-main ; comme un programme caché qui viendrait en permanence ajouter ou retrancher des informations au logiciel actuellement en cours d’utilisation.
Le socle psychique de notre maison, ses fondations, établies avant sept ans, nous demeurent invisibles, enfoncées dans le sol. Si ces idées de base sur la vie, sur le sexe, sur les relations, se révèlent saines (c’est à dire assez conformes à ce qu’un adulte, doté d’une vision plus large et plus informée, pourrait en dire) alors parvenus à la maturité nous n’aurons pas de problèmes particuliers pour mener notre vie. La maison restera solide. Si par contre ces idées fondamentales se sont édifiées autour d’expériences perturbantes, ces certitudes infantiles profondes vont venir parasiter les tentatives de réalisation de l’adulte. Sa maison se lézardera constamment. Prenons l’exemple d’un petit qui déduit de ce qui lui arrive la conclusion suivante : « En tant que garçon, on se trouve en permanence menacé (de castration) ». Devenu adulte, il continuera à être habité par cette peur, dont il aura pourtant oublié l’origine. MAIS l’homme en question va développer de multiples stratégies pour éviter de sentir cette crainte troublante. Soit il se coupera de ce sentiment inquiétant, et devra pour cela peu à peu éviter de reconnaître toutes ses autres émotions (laisser surgir un affect risquerait de faire remonter cette terreur enfouie). Résultat : un homme froid, peu en contact avec lui-même, sans relation authentique avec les autres, ne trouvant un certain sentiment de vie que dans une mobilisation énergétique contrôlée (sport, travail). Soit de fréquents troubles somatiques (par exemple gastro-intestinaux) viendront le secouer: sa peur oubliée, drainée par le corps, ne le gêne plus apparemment, mais l’amène régulièrement chez le médecin ou même à l’hôpital. Soit il souffrira de troubles relationnels ou sexuels (éjaculation précoce : rester le moins possible dans ce vagin castrateur). Soit il s’alcoolisera, ou prendra des anxiolytiques, etc. Tout ceci lié au fait que le postulat initial vient colorer son existence. L’Enfant s’efforce de rappeler le message « Attention, danger ! » ; et l’adulte se demande pourquoi il éprouve ainsi le sentiment de rater ses entreprises, d’endurer des difficultés relationnelles, ou des troubles somatiques.
Paradoxalement cet adulte ne cheminera vers la guérison que lorsqu’il commencera à apercevoir et reconnaître sa peur (la situation traumatique de l’enfance est oubliée certes MAIS les émotions et comportements qui en découlent sont perceptibles ; on peut donc avoir une action sur eux).
RESUME
Deux caractéristiques humaines, la longue période de dépendance, et l’amnésie infantile, conduisent l’être humain à porter en lui :
1) une forte proportion de psychisme infantile, risquant d’amener une gestion de vie tout à fait immature
2) des programmes cachés, qui peuvent perturber de grands secteurs de l’existence, s’ils viennent en contradiction avec le projet de réalisation souhaité par l’adulte.
LA PLACE DE L’AUTRE EN NOUS
Autre source de complexité : une partie de notre psychisme est en fait colonisée par l’Autre. Cette zone occupée parle, elle aussi, au nom de « JE » puisqu’elle se situe à l’intérieur de notre psyché. Mais ce »je »-là est en fait une voix importée de l’extérieur.
Nous allons l’illustrer par quelques exemples.
Lorsqu’un enfant est battu, il souffre, il a peur. Il se dit que lorsqu’il sera lui-même devenu parent il ne frappera jamais ses enfants. Mais, dans un nombre de cas assez important, une fois devenu adulte cet enfant évoluera lui-même en parent batteur. Si on l’interroge sur son ressenti il expliquera : « Je ne peux pas m’en empêcher » c’est à dire que « je » et « me » dans cette phrase sont bien deux parties différentes et opposées. L’une voudrait, l’autre ne voudrait pas. Il pourra aussi justifier son comportement en expliquant : « Cet enfant m’énerve trop ! »
Que s’est-il donc passé ? L’enfant battu se trouvait face à un « mauvais » parent externe. Plus tard, quand il s’est autonomisé et qu’il a quitté sa famille, cette image dangereuse a disparu de la relation. Mais il s’est effectué alors une intégration : le parent persécuteur, si important dans cette histoire, a été intériorisé par l’individu. Une parcelle du terrain psychique de cette personne est désormais occupée par l’image de quelqu’un d’autre, par l’identification au proche qui violentait l’enfant. Deux conséquences:
1) Quand cette fraction du psychisme s’exprime, elle tient les propos, elle déploie les pensées et les sentiments du parent en question. Mais comme il s’agit d’une partie interne, la personne est leurrée. Elle est habitée par des pensées, des impressions, des pulsions qu’elle considère comme les siennes tout en ne se reconnaissant pas elle-même : « je n’en reviens pas d’agir ainsi ! ». Cet étonnement, ce trouble laissent subodorer qu’il s’agit de la mise en œuvre du schéma parental intériorisé et non de la réalisation des désirs personnels.
2) Ce parent agressif étant désormais à l’intérieur, il devient beaucoup plus difficile de se défendre contre lui ou de se protéger de ses coups. Une sorte de persécuteur interne habite la personne et s’emploie à lui faire sentir de la souffrance (psychique, physique, relationnelle). Auparavant la douleur était infligée par l’adulte externe, maintenant ce même parent violent opère à l’intérieur.
La solution habituelle pour échapper à cette persécution interne, susceptible de mener parfois à la dépression ou au suicide, consiste à dériver cette violence sur quelqu’un d’autre. En l’occurrence sur l’enfant qui se trouve là ; mais éventuellement sur un intime de l’entourage.
C’est ainsi que l’individu ayant enduré des violences dans son enfance sentira une pulsion à devenir brutal, envers lui-même ou envers l’extérieur. Pour éviter de subir personnellement de plein fouet cette maltraitance interne, il va la dériver sur quelqu’un d’externe. « C’est lui ou moi » pourrait-on dire.
Ce mécanisme de colonisation d’une partie de la psyché se nomme « l’identification à l’agresseur » repérée dans un grand nombre de circonstances. On peut la voir ainsi fonctionner dans ce qu’on a appelé « le syndrome de Stockholm ». Ce dernier a été observé chez des otages de terroristes, lorsque leur vie subissait une véritable menace : une fois libérés bon nombre de ces gens se montraient acquis aux idées de leurs ravisseurs, aussi farfelues et incohérentes soient-elles. Quelques jours de terreur avaient-ils suffi pour que des individus changent ainsi d’idée ? Oui, car si la peur est trop violente à l’intérieur de soi, qu’un risque vital est en jeu, dans certains cas la personne choisit inconsciemment de s’identifier à l’agresseur. Dans l’hypothèse où elle serait consciente de ce qui se passe en elle-même elle dirait : « Si je suis du côté de l’agresseur, si je suis acquise à ses idées, alors il y a beaucoup moins de risques pour que je sois violée ou tuée ». Alors son psychisme se distord et intègre les thèses de l’agresseur afin de se sentir moins menacé. On se souvient, dans ce même registre, du cas de Patricia HEARST, fille d’un milliardaire américain, enlevée par une bande d’hommes aux idées confuses et incohérentes, violentée, violée, enfermée dans un placard, etc. Quelques mois plus tard elle braquait des banques à leurs côtés et, lorsque tous ont été arrêtés, elle soutenait les thèses de ses agresseurs, au point que le tribunal s’est demandé s’il ne devait pas la condamner elle aussi. Après une longue thérapie, elle a pu retrouver tant bien que mal son propre équilibre. Là encore, sous l’impact de la terreur, une partie de son psychisme avait été colonisée par une identification à l’agresseur ; à un point tel que les juges ne savaient plus trop bien qui parlait : elle-même en pleine responsabilité, ou bien l’Autre en elle.
La difficulté dans ces cas tient au fait suivant, qui nous est commun à tous : tout élément psychique interne parle au nom de « je » et est ressenti comme étant « moi », même si je m’étonne un peu de réagir et penser ainsi.
Notons au passage que, en dehors du mécanisme de l’identification à l’agresseur, une bonne partie de notre Moi se constitue de toute manière par identification (aux parents, aux professeurs, aux copains-copines, etc). Comment faire le tri désormais entre ce qui est devenu moi-même (ce que j’ai mâché, digéré, fait mien) et ce qui est une sorte d’inclusion de l’autre en moi ?
Ceci peut s’illustrer par un autre cas, celui de la jeune femme qui devient mère pour la première fois. A ce moment précis se déclenche en elle-même un schéma de comportement qui dormait, en latence jusqu’à présent : le programme caché impliquant toutes les idées que s’était faites l’enfant sur ce qui constitue une mère, ce qu’elle est tenue de faire, les attitudes qu’elle doit adopter, etc. Il est fréquent alors que la jeune maman se sente poussée à avoir des gestes et des conduites dans lesquelles elle ne s’identifie plus. Une patiente me disait : « quand je me comporte comme ça avec mon bébé, je ne me reconnais pas. Ca n’est pas du tout moi, cette réaction ! » En l’occurrence il s’agissait d’une compulsion, imprévisible et difficile à contrôler, la poussant à hurler sur l’enfant. Et, bien entendu, il lui a été assez facile de constater qu’elle ressemblait de plus en plus à sa propre mère (du moins l’image maternelle telle qu’elle-même l’avait perçue, ressentie, imaginée).
Ce mécanisme s’observe d’une façon similaire chez le jeune homme devenu père. La mise en route du schéma caché l’amène généralement à agir, sans toujours bien le savoir ou l’apercevoir, comme il a vu son propre père se comporter. Etre un père, c’est se situer de telle ou telle façon
RESUME
Un territoire de notre psychisme se trouve colonisé par l’Autre. Nous n’en prenons pas conscience car toutes les parties internes parlent au nom de « je » et sont perçues comme étant « nous-mêmes. Mais, en fait, notre comportement, nos choix, nos ressentis sont parfois commandés à notre insu par quelqu’un qui n’est pas nous-mêmes
Si l’aspect colonisé se révèle trop souvent majoritaire, nous allons mener une vie qui n’est pas authentiquement la nôtre, même si nous disons : « JE décide que… JE ressens que… »
Des signes nous indiquent cependant que nous ne sommes pas véritablement « individués », en particulier le sentiment d’une vie insatisfaisante, comme si nous nous trouvions exilés d’un pays inconnu dont nous nous avons une secrète et incompréhensible nostalgie, colorée d’une certaine amertume.
Une situation va nous aider à percevoir le discours de l’Autre en nous-même et la façon dont nous nous trompons à ce propos.
L’hypnose, au début du vingtième siècle, a connu sa grande période. Elle a vu aussi un regain de faveur il y a peu, à travers la pratique qu’a élaboré Milton ERICKSON (psychiatre américain). Elle nous a montré de façon claire comment une suggestion peut être incorporée, oubliée, puis « intégrée ». En voici une illustration. Un hypnotiseur donne l’ordre suivant, à une personne suffisamment suggestible : « Ce soir, à 20 h, où que vous soyez, vous ouvrirez votre parapluie ». Et il ajoute à cette directive une prescription complémentaire : « Oubliez que vous avez reçu cette injonction ». La personne vaque à ses occupations, et à 20 heures elle fait l’action, elle ouvre son parapluie. Si on lui demande à ce moment précis pourquoi elle agit de cette façon, elle va répondre par ce qu’on appelle une rationalisation . C’est à dire qu’elle va avancer une bonne raison pour justifier son geste : « J’ai pensé qu’il allait peut-être pleuvoir et je me suis dit qu’il valait mieux vérifier le fonctionnement de mon parapluie ».
Que constate-t-on ? La personne ne sait pas qu’elle obéit à la consigne qu’elle a intériorisée ; elle sent en elle cette impulsion, et son mental (machine à penser, dont nous reparlerons) trouve alors des explications afin que son comportement ait l’air logique, cohérent. Seuls quelques petits signes tels qu’un vague malaise ou des sensations bizarres pourraient lui indiquer que ce qu’elle croit être son choix personnel n’est en fait que l’obéissance à l’ordre de quelqu’un d’autre.
Quelle stupéfaction et quelle inquiétude, si elle découvrait qu’elle est ainsi mue par une voix intérieure, venue tout d’abord de l’extérieur, et que ce qu’elle se raconte à propos de son acte est artificiel, n’ayant que la fonction de donner une apparence d’harmonie avec l’ensemble de sa personnalité.
Or l’enfant suggestible que nous étions a ainsi intégré en lui de multiples injonctions, de très nombreuses « voix ». Il a reçu, intériorisé, puis oublié, le poids des attentes parentales, ainsi que les transmissions de « vérités » trans-générationnelles. Ce fonctionnement existe en chacun de nous et induit à agir de telle ou telle façon. Nous obéissons sans le savoir à ces ordres intérieurs et nous rationalisons ensuite tant bien que mal. L’enfant, sur le dos d’un éléphant, dit : « Je choisis d’aller à droite » quand l’animal se dirige sur la droite et : « Je décide d’aller maintenant à gauche » quand le pachyderme change de direction. Il a l’impression de diriger quand il ne fait que subir. La rationalisation a pour objectif de prouver que nous agissons d’une manière sensée, que ces activités découlent effectivement de notre propre choix. Mais rien n’est moins sûr ! Le plus souvent nous voilà aux ordres de diverses « voix » à l’intérieur de nous-mêmes ; et pour peu que celles-ci se révèlent contradictoires, en lutte pour la prise de pouvoir… nous aurons bien du mal à trouver un chemin de vie épanouissant et à donner une apparence de cohérence à notre comportement.
LE CHOIX FORTUIT DE NOS TRAITS DE PERSONNALITE
Encore plus troublant : ce que nous croyons être le plus caractéristique de notre style propre est généralement le fruit d’un processus assez contingent.
Voici un enfant qui naît dans une famille. Imaginons qu’il arrive en deuxième et que le premier né est du même sexe que lui. Comment va-t-il développer certains traits de personnalité ? En investissant le territoire psychique familial qui n’a pas encore été occupé. C’est ainsi que si son frère aîné (dans le cas de deux garçons) est par exemple plutôt introverti et autoritaire, lui-même sera au contraire extraverti et diplomate. Ou vice versa. Si le précédent est brillant scolairement, le deuxième rencontrera sans doute plus de difficultés ; mais peut-être en compensation disposera-t-il d’un réseau de copains, là où son frère en connaîtra peu, etc.
Chaque parent a pu constater ce phénomène de différenciation réciproque, même si ce n’est pas toujours aussi marqué.
Or, tirons sur ce fil : l’enfant qui se sera, par exemple, défini suivant tel ou tel aspect deviendra un adolescent et un adulte qui cristallisera ces particularités. L’adulte pourra penser : « moi, mon caractère a toujours été d’être… (réservé, diplomate, extraverti, agressif, brillant, lent, etc) »
Bien sûr, ceci s’est en réalité modulé suivant tous les paramètres en place : gémellité ou non, type de fratrie (l’enfant unique ne dispose pas non plus de tous les choix possibles car il subit plus fortement la pression des « étiquettes » que les parents placent sur lui). Mais le fait est là : nous croyons que telle ou telle modalité « fondamentale » de notre caractère reflète vraiment ce que nous sommes, alors que nous avons développé cette spécificité par réaction, par défaut, presque par hasard, parce que cet espace-là se trouvait libre et occupable…
Nous nous sommes limités à quelques salles dans le château, parce que les autres lieux étaient déjà habités. Mais une fois adulte, alors que le palais nous appartient désormais, nous restons cantonnés dans ces espaces. Il nous reste à découvrir que toutes les pièces nous sont accessibles : je me croyais timide alors que je peux parfaitement être extraverti, je me croyais diplomate et doux alors qu’une bonne colère sera à mon service.
Devenus adultes nous avons le droit (le devoir ?) de récupérer nos territoires d’existence et de découvrir la vitalité et la joie qui émergent du jeu avec toutes nos tendances psychiques. « Rien de ce qui est humain ne m’est étranger » y compris le meilleur…
RESUME
A la lumière de toutes les contraintes et limites à l’intérieur desquelles s’est développée notre enfance, nous avons dû « choisir » les aspects de personnalité qui restaient libres et possibles dans cet espace familial.
Ce que nous croyons être le plus typique de notre particularité répond ainsi à une sorte de hasard des territoires libres à ce moment-là.
Il nous reste à découvrir, une fois adulte, que tous les autres choix, et donc tous les autres styles de caractère et de comportement nous sont, en fait, accessibles
LA CONTENTION DES OPPOSES PSYCHIQUES
Si j’ai « choisi » un style de personnalité, il m’a fallu ensuite d’une part mettre en œuvre ce qui le faisait passer au premier plan, et d’autre part freiner les manifestations de la tendance opposée. Exemple : si mon genre est d’être gentil, agréable, positif, il me faut absolument lutter contre mes désirs d’être méchant, désagréable, négatif.
Peu à peu l’enfant puis l’adolescent va ainsi bâtir son individualité en donnant le pouvoir à une de ses facettes et en refusant la perspective contraire. Parmi tous les aspects psychiques, le choix de certains induit le contre-choix de leurs opposés.
Ce point est lourd de conséquences. En effet la propension inverse cherchera d’autant plus à trouver sa place, au soleil du conscient, qu’elle aura été refusée violemment. On pourrait comparer cela à un régime dictatorial dans lequel la minorité ne disposant d’aucun accès aux médias, d’aucun droit d’expression, est conduite alors à s’exprimer de façon violente, à poser des bombes.
Nous fonctionnons souvent ainsi : certaines émotions, certains comportements nous paraissent si contraires à « ce que nous sommes » que nous leur refusons toute présence dans notre conscient. Cette énergie refusée, ces idées refoulées, vont vraiment essayer de trouver une voie d’écoulement. Elles la trouveront par exemple dans des somatisations diverses, ou bien à l’intérieur de rêves désagréables, ou dans des actes manqués divers.
Au fond, plus je lutte contre une tendance en moi, plus celle-ci cherche à se manifester et donc plus elle m’obsède secrètement. Exemple : si je tiens à être absolument gentille et agréable, je serai toujours préoccupée par l’agressivité… celle des autres, en apparence, ce monde si dur dans lequel je me sens si démunie. Des pensées obsédantes sur la torture, la violence, les agressions, seront mon lot quotidien… Nous verrons dans un prochain chapitre comment sortir de ces ruminations perturbantes ou obsédantes, liées au refus de certaines parties psychiques.
Mais quelquefois ce contre quoi je lutte constamment prend sa revanche et me submerge totalement. Moi qui désirais, par exemple, ne jamais être triste (malgré tel ou tel souvenir très douloureux) me voilà basculer brusquement dans une sorte de déprime intense.
En clair : tous les opposés contre lesquels je me suis tout d’abord édifié doivent secondairement, à l’âge adulte, trouver une place en moi-même afin d’éviter le duel intérieur permanent contre eux. En effet les conséquences de ce conflit sont importantes : symptômes physiques, psychiques, relationnels, accompagnés de fatigue, et de sentiment d’une vie dés-axée.
Il importe, pourrait-on dire, de passer de la dictature à la démocratie. La minorité, dont l’opinion est opposée à celle de la majorité, doit bénéficier du droit à l’expression. « Je discerne qu’il existe en moi une partie qui plaide pour le contraire de ce qui fait mon choix majoritaire. Me voilà plus encombré, en apparence, par ces contradictions ; mais en fait plus riche d’énergie car la partie minoritaire, désormais passée sur le terrain du conscient, peut être identifiée et contenue ».
« Oui, une partie de moi ressent et désire le contraire de ce qui est mon choix majoritaire ; je la reconnais ; j’écoute ses arguments MAIS je ne lui donne pas le pouvoir pour autant ! » Tout est là, et nous y reviendrons longuement.
Terminons par l’étude d’un psychologue américain nommé SIEBERT. Celui-ci a cherché si les « survivants » (c’est à dire les gens qui s’en étaient sortis dans des conditions extrêmes), présentaient des points identiques. Sa conclusion débouchait sur un trait commun : ils étaient bi-polaires psychiquement ; à la fois, par exemple, dur ET gentils, sur le qui-vive ET décontractés, sérieux ET ludiques, etc. Ceci leur donnait des facultés d’adaptation importantes, car ils pouvaient utiliser au besoin telle ou telle aptitude.
Tout bien pesé, la démocratie, et sa possibilité d’alternance au pouvoir, est sans doute plus modulable et plus pérenne, même si elle apparaît constamment « en débat », que la dictature, qui finit par être peu flexible et renversée dans la violence. Entre nos tendances psychiques opposées, nous avons donc à instaurer un fonctionnement démocratique, afin de bénéficier du maximum d’énergie.
RESUME
Choisissant certains aspects de personnalité, nous sommes conduits à lutter contre leurs doubles opposés, qui existent tout autant à l’intérieur de nous-mêmes…
Notre richesse de vie adulte, ainsi que nos forces de « survie » et de réalisation dépendent de notre capacité à instaurer une relation « démocratique » entre ces tendances opposes.
EN CONCLUSION
Notre psychisme est un groupe, une assemblée disparate, établie en partie par le hasard des expériences de notre vie. Résident ici : l’enfant, les parents, diverses figures importantes de notre histoire, etc. Et nos programmes de vie tiennent autant à des idées infantiles, oubliées mais très agissantes, qu’à certaines injonctions issues des « autres » en nous-même et non perçues comme telles !
Si nous voulons réaliser notre vie, réussir ce que nous entreprenons, rester en santé physique et psychique, être satisfaits relationnellement, il nous faut d’abord et avant tout :
- repérer et contrôler les parts de nous-mêmes qui « sabotent » nos tentatives
- découvrir notre propre boussole interne personnelle, et apprendre à se fier à elle
Nous développerons ces deux points au fil des chapitres. Notons que FREUD expliquait modestement que le résultat d’une psychanalyse était d’être « capable d’aimer et de travailler ». Traduit en termes de buts : « réussir des relations amoureuses et réussir professionnellement », cela nous place face à un programme intéressant… et chargé. Pour JUNG il était capital d’arriver à ce qu’il appelle « l’individuation », que nous transcrirons ainsi : devenir un individu autonome, capable de gérer avec maturité les diverses parties de lui-même, et d’être ouvert à la Vie, que celle-ci se situe dans les relations aux autres, à soi-même, à la Nature, à l’art, aux symboles, etc.
QUELQUES CONSEILS
Pour clore ce premier thème, soulignons que l’accès au fonctionnement évoqué dans les points 1. et 2. ci-dessus suppose d’abord de développer l’Observateur interne. Nous allons donc vous proposer deux exercices dans ce sens.
Permettez cependant une remarque préalable, à propos des avis ou suggestions pratiques de ce livre : ils ne seront d’aucun effet si vous vous contentez de les lire sans les concrétiser. Cela m’évoque une anecdote. A la fin d’une de mes conférences, sur le type d’écoute et d’aide mutuelle pratiquée au GEP (Groupe d’Entraide Psychologique), une auditrice est venue me voir, et m’a dit : « Je vous remercie pour votre conférence très éclairante. Maintenant j’ai tout à fait compris comment communiquer. Par conséquent il est inutile que je m’inscrive à cette formation » !! Cette brave dame croyait qu’avoir compris intellectuellement lui suffisait. Un peu comme si on pouvait apprendre à nager, ou à monter à cheval, en compulsant des livres, ou en suivant des cours magistraux, avec de belles démonstrations au tableau.
Il en est donc de même ici : comprendre est un premier temps utile ; mais mettre en pratique se trouve être la seule façon d’obtenir des résultats.
Commençons par le plus facile :
1) L’exercice du garagiste (5 minutes chaque soir)
Lorsqu’un garagiste fait le tour d’une voiture en vue d’effectuer les réparations nécessaires et de permettre à celle-ci un fonctionnement optimum, il la regarde d’une façon détaillée. Il fait la liste de tout ce qui dysfonctionne, calmement, tranquillement. Rien ne l’énerve ou ne l’affecte là-dedans : c’est un œil neutre et professionnel qui effectue l’état des lieux.
Nous vous proposons de faire le tour de votre situation, cinq minutes chaque soir, avec le même regard distancié. En pratique, voici comment faire :
- Réservez-vous cinq (à dix) minutes. Au besoin en vous aidant d’un minuteur.
- Durant ce temps, faites la liste de ce qui ne va pas dans votre vie. Essayez de le faire d’une façon neutre. Constatez, par exemple : « il y a des angoisses » plutôt que « je suis angoissé » ; « il y a ces disputes avec ma femme » plutôt que « nous n’arrêtons pas de nous engueuler », etc.
– Prenez de la hauteur, une vue objective, désidentifiée, « professionnelle ». (Les théoriciens du paradoxe ont souligné combien souvent un problème trouvait sa solution lorsqu’on réussissait à adopter une position « méta », un point de vue différent).
- Ne cherchez pas à résoudre ces questions. Vous établissez la liste, un point c’est tout. (La plupart du temps les solutions « volontaristes » ne tiennent pas longtemps ; seules les solutions issues naturellement du profond de soi bougent quelque chose).
- Limitez-vous aux cinq (ou dix) minutes proposées. Il ne s’agit pas de ruminer sur ses malheurs, mais de développer en soi un observateur lucide et calme
Vous constaterez parfois, en effectuant cet exercice chaque jour, que certains « problèmes » ont évolué tout seuls, ou
même se sont résolus, sans que vous ayez pour autant fait un effort dans ce sens. Là n’est pas forcément le but
recherché ; mais il s’agit d’une retombée, qu’on observe de temps à autre.
2) L’enfant intérieur (1/2h à 1 heure ; puis quelques secondes dans la journée)
- Trouvez des photos de vous, datant environ de la période de vos 5 ans jusqu’à vos 10 ans. (Si vous n’en avez pas, retrouvez des souvenirs de cette époque et prenez le temps de les écrire. Interrogez-vous aussi sur le fait de ne posséder aucune photo de vous de cette époque)
- Regardez attentivement cet enfant. Regardez le comme s’il s’agissait d’une autre personne que vous. Voyez quels sentiments il vous inspire ; et voyez ce que lui-même a l’air de ressentir. Prenez une loupe, éventuellement, si vous travaillez sur photo.
– Faites des déductions : qui a pris ce cliché ? sur qui porte le centre de la visée ? qui regarde qui ? qu’est-ce que tout cela signifie ?
- Puis laissez-vous émouvoir ; créez un lien avec cet enfant. Rappelez-vous certaines souffrances, certaines blessures, déceptions, solitudes, échecs de cette époque. Plongez-vous dans cette émotion. Laissez les pleurs venir (cela peut être aussi la peur, la colère, le souvenir de certaines joies ; cependant ce qui « ouvre » le plus ce canal entre vous et l’enfant est de l’ordre des larmes)
- Faites une promesse à cet enfant (en l’appelant par son prénom). Dites lui à haute voix ou, en tout cas, avec tout votre cœur, que désormais vous vous occuperez de lui, qu’il ne sera plus jamais seul, qu’il aura toujours vos bras d’adulte pour l’accueillir et le consoler.
– S’il vous vient un souvenir particulièrement douloureux, pleurez toutes les larmes de cet enfant. Et renouvelez votre engagement à le comprendre et à le soutenir.
- Mettez dans votre portefeuille ou votre agenda une photo de vous à ces âges, une de celle qui vous émeut particulièrement, comme on le fait pour une personne qu’on aime.
- Plus tard, de temps à autre dans la journée, où que vous soyez et quoi que vous fassiez (mais de préférence quand vous êtes seul), interrogez l’enfant en vous. Demandez lui brièvement ce qu’il ressent dans la situation actuelle, et comment est-ce que ça lui rappelle quelque chose datant de sa propre époque. Et assurez-le que désormais c’est vous qui êtes aux commandes (même s’il a peur, même s’il est triste, même s’il est en colère).
– Ayez de l’attention et de la compassion pour ce qu’il ressent MAIS gardez votre propre contrôle et limitez ce temps d’échange, si cela se révèle nécessaire.
- Parfois, quand vous vous sentez triste ou seul(e) le soir, endormez votre enfant intime en lui chantant intérieurement une douce berceuse que vous aimez.
Voilà. Bonnes expériences !