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Le charme de l’écoutant passif

Par 25 janvier 2021Aucun commentaire

Le charme de l’écoutant passif

Soigner l’autre

 

Une maladie iatrogène est une maladie provoquée par le médicament censé soigner. Dans le domaine psychologique, il y a le plus souvent un effet iatrogène dans le désir de soigner l’autre.

Le « désir de soigner » est implicitement porteur de forces de division entre deux tendances contradictoires : d’un côté la reconnaissance de « ce qui est » (le problème) et de l’autre côté l’aspiration à « ce qui devrait être » (la solution). Lorsque l’écoutant désire soigner l’autre, il pense que cet autre devrait être autrement qu’il n’est. D’une certaine manière il rejette ce que l’écouté présente ou amène.

Si l’écouté a lui-même tendance à rejeter la partie de lui porteuse du problème, les deux personnes, écoutant et écouté, vont alors aboutir au résultat suivant :

  1. l’écouté divise son énergie intérieure. Il entre en conflit avec lui-même. Il y a la partie de lui-même porteuse du problème, qui est ce qu’elle est, et l’autre partie de lui-même, « rejetante », qui dit que tout cela ne devrait pas être, ou devrait être autrement.

Ce conflit interne diminue l’énergie de la personne et de ce fait lui donne moins de capacité à trouver une solution. Cette manière de poser le problème augmente le problème et freine l’accès aux  solutions.

  1. parallèlement l’écouté, divisé, en conflit intérieur, perd le sentiment de sa propre valeur. En se rejetant, il perd confiance, il appauvrit sa propre sécurité interne.

Ainsi, apparaissent les conséquences iatrogènes : au lieu d’avoir plus d’énergie pour changer, au contraire l’écouté se sent divisé, diminué, dévalorisé. On arrive alors à une situation où la personne, mécontente d’elle-même, va vouloir se faire changer de force,  volontairement. Et ces tentatives volontaristes aboutiront rapidement à des rechutes et à du découragement.

Par conséquent l’écoutant qui veut « soigner », qui désire que l’autre change, participe à amener un résultat inverse du but attendu : l’écouté devient divisé, perd sa propre énergie et a ainsi moins de chance d’aboutir à un changement, avec cet écoutant si désireux de « l’aider » à changer.

Inversement que se passe-t-il si l’écoutant et l’écouté se penchent sur la partie « problématique » avec bienveillance, sans vouloir la changer, juste pour lui donner l’occasion de bien s’exprimer ? Alors l’écouté n’est plus en guerre intérieure, il dispose de toute son énergie ;  il n’est pas, non plus, dévalorisé narcissiquement. Il devient plutôt curieux de savoir ce que veut cette partie-là, attentif, observateur, à l’écoute  de cet aspect. Ceci se fait d’autant plus aisément si l’écoutant est lui-même dans cette attitude : attentif, bienveillant, sans autre désir qu’aider à l’expression, exempt de tout « désir de soigner » ou « de faire changer » l’autre.

Le paradoxe

 

Nous nageons là en plein paradoxe. Plus je veux me faire changer, plus je perds l’énergie qui me permettra d’atteindre le changement désiré. Et plus je veux faire changer l’Autre, plus je le pousse à perdre son énergie de changement.

Si l’on comprend bien cela, nous voilà avec la tête à l’envers : si je veux changer, le mieux pour moi est de renoncer à changer, d’arrêter de rejeter tel aspect de moi, d’en voir même la richesse et l’intérêt. Alors réunifié et apaisé, au moment où je renonce à changer (tout en continuant à respecter la part de moi qui désire changer), je change.

Et c’est pareil avec l’autre : renoncez à faire changer votre conjoint ou votre co- responsable, acceptez le exactement tel qu’il est, avec bienveillance, et que va t-il se  passer ? Sans que vous lui demandiez quoi que ce soit, il va commencer à changer ; pas totalement, pas brusquement, mais d’une manière quand même significative.

La passivité réceptive

 

Cette passivité de l’écoutant consiste donc à accueillir l’autre avec bienveillance (acceptation inconditionnelle positive) et à s’accepter dépouillé de tout désir de vouloir le faire changer. Cette attitude favorise un vécu transférentiel qui renvoie à nos toutes premières expériences, celles qui ont structuré notre psyché : c’est comme si l’écouté était accueilli par une bonne mère (quel que soit le sexe de l’écoutant) contenante et accueillante.

Or, en psychologie, on a repéré trois types de comportements maternels qui sont pathogènes pour l’enfant : la mère intrusive, la mère carençante , et la mère qui alterne entre intrusion et carence. (Quand nous disons « mère » nous voulons signifier l’environnement parental primaire, le plus souvent coalisé, dans l’esprit de l’enfant, en une seule « imago », l’imago d’une « bonne mère » ou d’une « mauvaise mère »).

La mère intrusive ne suit pas le rythme, les idées, les ressentis de son enfant. Elle pénètre activement son espace avec ses propres idées, ses propres ressentis, sa vision des choses. La mère carençante, à distance, peu sensible aux vécus de l’enfant, plutôt indifférente, n’arrive pas véritablement à donner sa présence à son enfant (peut-être est-elle déprimée, ou trop préoccupée par ses propres vécus).

On peut transposer cela exactement sur l’écoutant. Trois types d’écoutants n’ont pas trouvé la bonne distance. Il y a l’écoutant intrusif, celui qui veut donner ses « messages », ses interprétations, sa manière de voir les choses, celui qui écoute plus ses propres idées que les vécus de l’écouté. Il y a l’écoutant carençant : peu impliqué, peu présent affectivement, pensant peut-être même à autre chose tout en ayant l’air d’être là, il laisse passer les vécus de l’écouté sans les reformuler ou sans même les sentir. Et puis il y a l’écoutant qui est tantôt intrusif  (il veut donner ses idées) tantôt carençant (« puisqu’il n’écoute pas mes suggestions qu’il aille se faire fiche »).

La bonne distance

On perçoit que le bon écoutant est celui qui, comme la « bonne mère » primaire, est capable detrouver la bonne distance relationnelle, le bon rythme, ces deux éléments qui ont été si fondamentaux dans la constitution du psychisme de l’enfant. Ainsi l’écoutant   G.E.P a-t-il les caractéristiques suivantes :

  • présence affective réelle à l’autre, mais silencieuse, montrée simplement par la passivité réceptive. Son attitude non verbale transmet « je t’écoute vraiment, je suis avec toi, je t’accepte »;
  • la non-intrusivité  : pas d’apport, pas de désir de soigner ou de bien faire, pas de transmission de ses propres « messages » supposés faire du bien à l’autre;
  • le renvoi adéquat des vécus de celui-ci,   afin de l’aider à reprendre contact avec lui-même.

La psychanalyse, et plus particulièrement Winnicott, a montré que dans un premier temps le rôle de la « mère » est d’être suffisamment branchée sur l’enfant pour que celui-ci puisse instituer les bases de confiance en lui-même et de confiance en un monde bon. Tout enfant a besoin, dans les premiers temps de la structuration de son psychisme, d’une mère capable de l’accompagner souplement dans ses vécus.  Plus tard lorsque la mère ne s’adaptera plus aussi bien, l’enfant pourra supporter cette évolution, car il aura stabilisé intérieurement  cette première phase, ainsi que l’imago maternelle bonne qui existait alors.

On aperçoit que la Formation G.E.P puis la pratique des E.E.P ont toutes deux des rapports étroits avec la constitution de cette sécurité interne et de cette confiance en soi et dans la vie. Il faut bien comprendre en effet que la passivité de l’écoutant est  en  fait  une  active  réceptivité  à  l’autre. Il lui donne ainsi l’environnement bon et soutenant dans lequel, réunifié et plus confiant, celui-ci pourra mobiliser ses forces de changement (d’autant plus que celles-ci sont intensément stimulées par le cadre  G.E.P lui-même).

Ainsi lorsque l’écoutant est vraiment cet accueillant passif, réceptif, bienveillant, exempt du désir de « faire » quelque chose pour l’autre, il n’a plus qu’à donner sa totale attention et sa présence profonde pour être le plus activement utile à l’écouté.