La haine nécessaire
Nicole Jeammet

présenté par Isabelle Daoulas
Le titre pourrait paraître surprenant et « contre nature », surtout à notre époque où le positif est mis en avant. Et pourtant, la lecture de cet ouvrage me parait essentielle à la compréhension de : « l’amour et la haine occupent la même facette ».
L’ouvrage retrace la construction psychique du bébé, son organisation, en s’appuyant sur les écrits de Freud, Klein, Abraham et Winnicott. Il éclaire de façon lumineuse en quoi la haine n’est pas un « mal » en soi, mais bien un repère interne qui vient montrer combien elle est LE point où l’amour est nécessaire et attendu.
Ce point, cet espace, ce lieu transitionnel qui réclame tout au long de la vie, sous diverses formes déguisées et bien incompréhensibles à être nourri, apaisé, rassuré, comblé.
En partant de la relation « mère-enfant », ce creuset de l’amour, et du travail oedipien, N. Jeammet, maître de conférences en psychopathologie à Paris V, nous montre comment un travail de la haine à l’amour permet de trouver une distance juste à l’autre et à soi même. Elle nous montre comment ces différentes expériences des affects prennent une valeur organisatrice de la psyché, dont le problème majeur sera pour chacun d’avoir réussi à acquérir la capacité à supporter la frustration et son angoisse. C’est à partir de la frustration que la haine est ressentie. La frustration provoquée par le déplaisir engendre la haine. Seul, un enfant ne peut rester avec cette expérience de haine. A ce niveau, la mère joue un rôle essentiel grâce à l’identification émotionnelle à son bébé et en répondant à son besoin, et en lui apportant un apaisement. Dans sa tendresse agissante, l’amour n’est pas détruit par la haine ressentie. Transformée par la stabilité du lien à un objet aimé, la haine perd de son caractère destructeur.
La haine, cet espace qui montre l’endroit où l’amour a besoin d’être reçu.
La haine, haine de l’autre, par amour de soi même.
La haine, qui permet de « rapter » une place, celle qui ne nous est pas reconnue. Cette haine-là, non reconnaissable mais qui se justifie pleinement et donne valeur de force de vie.
C’est de la façon de répondre et de traiter, ou non, ce conflit d’amour et de haine à l’intérieur de soi, de la façon de faire le deuil, ou de ne pas le faire, d’une illusion de complétude à deux, que dépendront les formes de structuration définitive de la psyché, ainsi que les formes narcissiques et objectales des relations aux autres.
L’auteur nous permet de comprendre que c’est à partir de toutes ces expériences vécues par l’enfant, dans la relation à la mère, à ses parents et aux restes des personnes de son entourage, que s’inscrira la suite de son histoire.
C’est à partir d’un espace, d’où les objets aimés se sont absentés, pour nous laisser désirer, penser et accomplir seul une œuvre, la nôtre, qui deviendra notre histoire ; la réussite de notre vie a à voir avec cet ajustement relationnel qui est recréé par nous, à partir de ce qui est trouvé.
Le point final de l’ouvrage nous amène à toucher combien, des expériences vécues de l’être, le plus important est d’arriver, quoi que nous ayons vécu de douloureux, à être le plus juste envers nous même, d’arriver à faire en sorte que la haine soit réellement vaincue. Et pour cela, il s’agit d’arriver à regarder en nous même avec tendresse et compassion cette part qui souffre.
Commentaires personnels
C’est un ouvrage à lire, sans aucun doute. Il m’a permis de revoir sous un autre angle, les étapes nécessaires à la construction de la psyché, la force et l’impact de la relation mère-enfant, l’œdipe et toutes ces traces laissées dans la mémoire affective des relations précoces.
Il m’a permis de faire le lien avec l’intérêt du travail analytique qui nous amène à recontacter inconsciemment la puissance de ces affects vécus, à remettre en ordre ce qui était en désordre.
Un grand intérêt à lire ce livre a été de me permettre de comprendre l’importance de dépasser les frustrations et les angoisses relationnelles, l’intérêt à introjecter les bons parents afin de faire la paix avec nos parents réels.
Le point essentiel pour moi a été de pouvoir visualiser combien la haine et l’amour sont en lien, la haine étant un appel au point où l’amour manque.