Formes primaires de symbolisation
Collectif (Anne Brun, René Roussillon,…)

présenté par Mélanie POTTIEZ
Cet ouvrage collectif aborde des réflexions, des apports théoriques et cliniques sur ce que sont les processus psychiques précoces, c’est-à-dire avant même le processus de symbolisation primaire.
Ces premières expériences au monde sont de l’ordre de l’éprouvé sensori-affectivo- moteur dans la relation à l’objet. Elles seront conceptualisées par plusieurs auteurs : le proto-mental de W. Bion, l’objet agglutiné de J. Bleger, le pictogramme de C. Catoriadis et P. Aulagnier, les protoreprésentations de M. Pinol- Douriez, le signifiant formel de D. Anzieu, et bien d’autres…
Ces premières expériences archaïques, inscrites psychiquement, restent inconscientes si elles ne sont pas symbolisées, et marquent toute notre vie.
Dans l’introduction, Anne Brun rappelle les deux types principaux de symbolisation : la symbolisation primaire, c’est-à-dire avant le langage, qui concerne toutes les expériences corporelles, affectives, sensori-motrices, qui transforme ces expériences en traces perceptives inconscientes, en « représentations de choses » ; la symbolisation secondaire, c’est-à-dire que ces « représentations de choses » sont métabolisées en « représentations de mots ».
C’est l’échoïsation du bébé par l’entourage, et des processus hallucinatoires qui lui permettent d’accéder aux premières formes de symbolisation.
Et c’est par le mode hallucinatoire qu’un retour à ces traces est possible, et ainsi permettre une symbolisation primaire, dans un premier temps.
Tout d’abord, Anne Brun partage sa réflexion et son expérience sur les dispositifs à médiation qui permettent d’engager des processus de symbolisation d’où émergent des formes primaires de symbolisation, en lien avec le mode primitif du bébé. A partir d’un cas clinique d’un enfant atteint de psychose, elle expose les différentes étapes très expérientielles de ces processus, en utilisant le medium pictural. On voit alors une réactualisation des sensations hallucinées avec le contact sensori-moteur de la peinture et de la feuille. Cela permet de donner un message aux éprouvés de l’enfant.
Ensuite, André Ciavaldini présente une compréhension du passage à l’acte violent, en lien avec une carence, un inachèvement dans le processus de symbolisation d’affects. Les personnes concernées ont des difficultés avec leurs éprouvés affectifs.
L’affect est le média premier qui permet une mentalisation des actions d’un sujet ; il fonctionne comme le code du lien à l’autre. Si celui-ci n’a pas pu être accueilli, échoïsé, métabolisé par la présence maternante, puis symbolisé par le bébé, il reste comme une trace qui cherche une porte pour se mettre en forme. Le passage « par » l’acte violent permet comme une voie d’entrée vers une symbolisation possible (R. Roussillon).
Albert Ciccone décrit, pour sa part, les « aspects bébés du soi » ou l’archaïque, l’infantile, qui correspondent aux formes primaires de symbolisation. On peut observer chez les bébés réels comment ces processus se manifestent, et comment à l’âge adulte, ils sont toujours aussi vivants, et ils s’expriment essentiellement par le corps. Il est important de prendre en compte ces aspects bébés dans tous les soins psychiques, en observant, écoutant, contenant. C’est la parentalité soignante.
Nathalie Dumet mène une réflexion sur les rapports entre symbolisations primaires et somatisations. Les facteurs de la psychosomatique sont plurifactoriels, riches. Le trouble somatique est compris comme un « corps messager », porteur de traces non représentées, et traumatiques. Il peut aussi mettre en jeu une problématique identitaire primaire et narcissique, ou encore une défense puissante pour protéger le sujet d’un excès d’expériences émotionnelles excessives.
Guy Lavallée aborde les forces de l’hallucinatoire qui animent la vie psychique (le çà pulsionnel ou substance première, matrice énergétique), et le sens de la symbolisation qui lui est relié.
Issues du çà pulsionnel, il y a Eros, énergie constituante de l’hallucination positive (ou de production), et Thanatos, énergie constituante de l’hallucination négative (ou de destruction). Ces deux énergies sont intriquées, et en rééquilibrage permanent, entre « tout » ou « rien », afin d’aider l’énergie psychique à s’équilibrer, avec l’aide de systèmes régulateurs intra- psychiques. Sans ces régulations, il n’existe pas de symbolisation primaire et de vie psychique possibles. En cas de déséquilibre, on peut laisser place alors à l’hallucination psychotique ou bien à un système psychique opératoire, voire autistique.
La perception transformée, psychisée, symbolisée peut être introjectée et devenir un signifiant visuel utilisable pour la mise en mot, et donc la pensée.
- Lavallée parle alors de « symbolisation imageante », tout en s’appuyant notamment sur l’exemple de la surdité profonde avant l’apprentissage de la langue des signes, où la pensée hors langage existe. L’auteur propose aussi le cheminement suivant concernant les hallucinatoires positif et négatif : dans le contexte de processus psychiques progrédients (évolution psychique) apparaissent des contenus, des productions grâce à l’hallucinatoire positif ; et dans les processus régrédients (régression psychique), l’hallucinatoire négatif devient contenant (maternel en nous) et régulateur. Dans ce sens, le sens n’existe pas sans la force qui le pousse ou l’efface.
Sylvain Missonnier aborde la question de la pratique des jeux-vidéos, et de leur portée motrice hallucinatoire. La réalité virtuelle est un simulacre de la perception du corps, mobilisé par les cinq sens, et ses représentations d’actions. On constate alors un investissement archaïque des liens premiers, avec comme une revanche du désir « au-delà du principe de réalité ». Une suspension de l’épreuve de réalité s’opère alors. La réalité virtuelle fait vivre des expériences d’hallucinations motrices propres aux formes primaires de symbolisation. L’auteur termine en posant que la relation entre investissement de la réalité virtuelle et le lien virtuel qu’est le transfert dans la cure, est essentielle en psychanalyse.
Yves Morhain propose quant à lui une réflexion sur la difficulté de symbolisation pour les adolescents en carence psycho-affective. Il explore les possibilités de les accompagner à retrouver un possible, dans le processus symbolique.
René Roussillon explore le concept de symbolisation primaire et ses formes, notamment le concept de pictogramme de P. Aulagnier et celui de signifiant formel de D. Anzieu. Les processus décrits ont tous un ancrage dans la sensorialité, et la mise en mouvement du corps, et aussi dans l’environnemental familial et social. Le sujet va tenter de s’adapter psychiquement, quoiqu’il en soit.
Karl-Leo Schwering apporte une réflexion au sujet des personnes atteintes d’une maladie grave et douloureuse. Il parle de subversion libidinale, c’est-à-dire que le corps érotique se détache progressivement du corps biologique, du fait des éprouvés multiples traumatiques. Ce processus équivaut à un travail de symbolisation primaire, notamment avec le concept de pictogramme (Aulagnier), et de signifiants formels (Anzieu), plus précisément détaillés. A ce stade, le thérapeute nomme les éprouvés pictographiques, et énonce des signifiants formels, sans interprétations, afin de permettre un accueil du processus de symbolisation.
Commentaires personnels
Un ouvrage riche, à plusieurs voix, que je trouve indispensable à une compréhension plus fine des processus primaires de symbolisation.
Les vignettes cliniques sont toujours appréciables, et permettent de bien comprendre concrètement de quoi il s’agit.
Réflexion concernant la Psychanalyse Rêve Éveillé (PRE)
C’est incontournable, il me semble, de savoir quels sont les processus de la symbolisation primaire en psychanalyse. Le Rêve Éveillé (RE) est un medium idéal dans la réactualisation des éprouvés, et la possibilité du processus imageant et symbolisant. Il permet au patient de revivre l’archaïque avant même l’image, et de pouvoir ainsi le métaboliser.