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Directivité et rêve éveillé analytique

Par 22 janvier 2021Aucun commentaire

Directivité et rêve éveillé analytique

par Jean-Marc Henriot

Il me semble que les principes qui guident mes interventions, au cours des séances où apparaît un R.E. , sont au nombre de trois : Le R.E. : cadre dans le cadre ; expérience d’un type particulier ; située à la bonne distance.

1) LE R. E. CADRE DANS LE CADRE

 

La caractéristique de la cure R.E. est de disposer de deux scènes différentes : la scène du R.E. lui‑même, une partie du Transfert s’y installe ; la scène hors R.E., que ce soit en face à face ou en divan, où une autre partie du Transfert se déploie.

 

Cette caractéristique est très précieuse en ce sens qu’elle représente une sorte de double membrane protectrice. La première membrane délimite le temps des séances par rapport au temps de la vie extérieure du patient ; la deuxième membrane délimite le temps des R.E. à l’intérieur même du temps des séances.

 

Cette double membrane peut donner lieu à une analyse théorique appuyée sur 1) les travaux analytiques concernant le Moi‑Peau (Didider ANZIEU),  2) les travaux concernant le cadre et ce qui s’y dépose (José BLEGER)

 

Ce cadre particulier, sorte de cadre‑gigogne puisque disposant d’un cadre à l’intérieur du cadre, est certainement explicatif du fait que l’analyse R.E. peut s’appliquer avec profit à des patients qui ont l’habitude de s attaquer au cadre ou bien à des patients, comme les états‑limites, qui ont besoin d’une assurance redoublée pour oser expérimenter leur vie fantasmatique sans se sentir délirer ou sans passer à l’acte.

 

La mise en place de ce cadre particulier requière une position active de la part de l’analyste. C’est autour de ce point que se disposent les choix suivants

Proposition rapide du passage au R.E.

 

Il me semble souhaitable que la scène du R.E. puisse se déployer à l’intérieur de la scène plus globale de la cure dès la mise en place de l’ensemble structurel proposé au patient.

 

Je propose donc de faire un premier R.E. en général dès la 5° ou 6° séance (bien sûr dans toutes mes remarques il faut savoir que rien de ceci n’est catégorique ou rigide : cela peut être plus tôt ou plus tard) et d’en refaire quelques autres sans tarder ensuite.

Les guillemets du R.E.

 

Je considère que le R.E. doit se situer clairement comme tel et, de même que dans un texte écrit une phrase prononcée se signale par l’ouverture et la fermeture de guillemets, de même je montre verbalement et non verbalement ces guillemets autour du R.E. Ainsi quand le patient annonce qu’il veut faire un R.E je branche mon répondeur téléphonique pour que nous ne soyons pas dérangés, et je coupe une des lampes de mon Cabinet. A la fin du R.E je fais l’inverse.

 

Cette expérience particulière qu’est le R.E. est par moi, clairement délimitée avec un début et une fin. Je considère que cela favorise la possibilité, pour le patient, de se plonger intensément dedans. (Cela peut entraîner aussi parfois certaines résistances, à analyser)

Peu de R.E Anabase

 

Par conséquent, dans cette même ligne, je ne suis pas trop favorable à un R.E. Anabase tel que l’avait décrit R. DUFOUR, qui prendrait racine dans une transposition imagée d’un vécu du moment. Il me semble qu’il y a là un risque : celui que le R.E. soit trop marqué par le Conscient, trop « décodé » silencieusement par le patient au fur et à mesure qu’il le fait, pas assez « à distance ».

 

Je favorise tout à fait cette transposition imagée dans les séances hors R.E mais il ne s’agit pas là alors d’un R.E.

2) LE R. E. « EXPERIENCE » D UN TYPE PARTICULIER

 

Je considère que le R.E est une expérience d’un type particulier. Des écrits intéressants à ce sujet sont ceux de MASUD KHAN (Le Soi Caché . Chap 22) et de J.B PONTALIS (Entre le rêve et la douleur. l’article p 19 à p 63) qui distinguent au niveau du Rêve Nocturne (R.N) le contenu figuratif du R.N. et l’expérience de ce R.N.

 

L’expérience du R.E. est caractérisée par une dialectique subtile de la passivité et de l’activité. Il s’agit en effet, pour le patient de pouvoir jouer sur ces deux registres :

 

  • accepter une certaine « passivité ». celle qui est requise pour supporter de se laisser envahir par les images et les éprouvés. Nous aurions affaire là à l’aspect hystériqueféminin avec lequel il s’agit d’être à l’aise.

 

  • déployer une activité, secondaire, située dans le cadre établi grâce à la passivité. Activité du corps de rêve qui se meut sur la scène du R.E qui affronte les obstacles, etc (et non activité du rêveur lui‑même qui choisirait ses images). Nous aurions affaire là à l’aspect obsessionnelmasculin avec lequel il s’agit aussi d’être à l’aise.

 

La directivité du thérapeute a pour objet de favoriser l’accession à cette expérience. Et donc de favoriser soit la passivité, réceptivité aux images et affects ; soit l’activité, à l’intérieur du scénario R.E.

 

Bien entendu par ailleurs tout un travail se fera, hors R.E., sur les résistances autour de ces thèmes fondamentaux que sont l’activité et la passivité.

 

Activité

 

  • D’une manière générale le thérapeute doit veiller à ce que la scène du R.E. ne s’immobilise pas trop, non plus que le corps imaginaire du rêveur.

 

Le mouvement dans l’espace imaginaire a toujours été considéré par les auteurs R.E. (N. FABRE, G. MAUREY, et bien sûr R. DESOILLE) comme important.

 

Les interventions incitent à bouger. Exemple :

 

« Pourriez‑vous vous laisser faire une action spontanée ? » dans le cas où le patient est figé (généralement tiraillé entre un désir et son interdit).

 

  • Face à un obstacle, l’intervention peut être de type non-directif. L’exemple caractéristique en est la phrase suivante : « Il y a un risque à courir ! ». Cette intervention du thérapeute est vécue comme un soutien, dans le cas d’un transfert positif, et comme un défi dans le cas d’un transfert négatif ; et donc énergétisante dans tous les cas.

 

A part les pathologies phobiques qui requièrent toutes à un moment ou à un autre un soutien pour affronter certaines situations, dans les autres cas, une fois l’état R.E. bien établi, les interventions du thérapeute peuvent  être rares.

Passivité ‑ Réceptivité

 

La visualisation a un statut particulier et il n’est donc pas étonnant qu’elle soit au coeur de l’expérience R.E. En effet elle me semble avoir une particularité double et contradictoire

 

  • dans les cas à dominante hystérique, trop marqués par les affects, une visualisation précise est indiquée, parce que stabilisatrice. « Pouvez‑vous décrire la scène ? », »Quel décor ? », « Comment est‑il habillé ? » etc.

 

Cette visualisation correcte se signale par un débit verbal qui n’est ni trop rapide ni trop lent. Et par la ,possibilité de surprise : « Tiens, ça c’est surprenant je ne m’attendais pas à ça », « tout à coup… », « oh ! »,etc

 

  • dans les cas où par contre les affects sont trop refusés, la visualisation précise permettra au contraire des les approcher : « Comment est son regard ? », « De quelle couleur est sa robe ? »

 

Chez les états‑limites on trouve assez souvent une succession d’images ininterrompues, sans lien évident entre elles, et sur un débit verbal rapide. Les interventions du thérapeute incitent à la visualisation détaillée mais portent aussi sur une accentuation plus précise de la sensation : « Que ressentez vous dans votre corps (de R.E.) ? » « Est‑ce chaud ou froid ? rugueux ou doux ? Y a‑t‑il des odeurs ? des bruits ? » etc

 

Ces interventions sont nécessaires aussi dans les cas psychosomatiques (cf les écrits de M. AUMAGE). Ces derniers ont une forte tendance à dérouler des R.E. du type « images de la vie quotidienne » ‑ mais même celles‑ci peuvent amener quelque chose pour eux si l’accent est mis sur la sensation.

 

Dans le cas d’une bonne visualisation trop maîtrisée comme chez les obsessionnels, les interventions portent sur l’attention aux sentiments et aux émotions : « Que ressentez‑vous ? » « Quel est votre sentiment ? Quelle émotion est‑ce que ça suscite en vous ? », et à partir de là sur une incitation au mouvement spontané.

3) LE R.E., THEATRE SITUE A LA « BONNE DISTANCE »

 

A la bonne distance du Conscient, c’est à dire permettant une représentation des conflits Ics suffisamment masquée pour ne pas provoquer de résistances massives mais suffisamment explicite pour inciter à l’interprétation ou plus exactement à la prolongation des interrogations posées par le patient à ce miroir magique.

 

C’est dans cette optique que se situent les propositions de thèmes. Une des principales fonctions du thème est justement de situer la scène  » à la bonne distance ». On pourrait faire l’hypothèse suivant laquelle si les thèmes initiaux ont été bien proposés le R.E. « images de la vie quotidienne » est presque toujours prioritairement défensif.

 

Pour les premiers R.E. je propose donc toujours des thèmes. Le tout premier R.E. est presque toujours assorti du thème suivant : « un paysage imaginaire dans une époque imaginaire » et il s’avère être très révélateur des capacités du patient à se glisser dans l’expérience R.E. Les autres thèmes visent à introduire la distance soit dans l’espace (les « fonds marins » de DESOILLE, ou « sur une autre planète » par ex.) soit dans le temps ( « aux temps préhistoriques » , « au Moyen Age », « en l’an 3000 ») soit par la dimension du Conte (Sorcier, Sorcière, etc). En ce sens les cinq premiers thèmes de DESOILLE ne sont pas négligeables.

 

Et si un patient veut explicitement traiter par le R.E. telle ou telle situation de son enfance je l’invite le plus souvent à transposer le lieu et les personnages dans une autre scène plus « à distance ». Ceci n’est pas toujours vrai : un R.E. à fonction cathartique, proche d’un travail tel qu’on le fait en psychothérapie de groupe, peut nécessiter d’être le plus conforme possible au souvenir.

 

Dans certains cas, qui en fait ne sont pas de bonnes indications de l’Analyse R.E. (quand il y a à la fois abrasion totale de l’imaginaire et absence d’insight) le patient refuse de voir autre chose que des images strictement connues et des scènes déjà vécues. J installe alors la scène du R.E. comme je le fais habituellement (guillemets, etc) mais je propose d’abord des équivalents de R.E. tels que bâtir un scénario imaginaire à partir d’une image du T.A.T. ou d’un autre support de ce genre. Il ne s’agit paslà de R.E. , puisque seule la dimension projective du R.E. apparaît, mais cela peut en être

une préparation, assortie nécessairement du travail interprétatif sur les résistances, et sur la relation à la passivité réceptrice. L’ensemble structurel de l’Analyse R.E. est cependant ainsi respecté.

 

Pour finir je dirais qu’une Analyse R.E. sans interventions (directives) de l’analyste me paraît difficilement envisageable. Il s’agit d’aider le patient à découvrir cette expérience particulière.

 

Par contre, une fois les paramètres correctement mis en place, la directivité devient très réduite et dans certains cas quasi nulle.

 

Cette directivité a pour caractéristique de n’induire jamais une image en provenance de l’analyste (sauf le thème). Je ne propose donc pas d’images auxiliaires de protection ou d’appui ; mon intervention dans ces cas là serait plutôt la suivante : « y aurait‑il quelque chose autour de vous qui pourrait vous servir ? », ou bien « Qu’allez‑vous faire ou trouver pour pouvoir continuer ? »

 

Ce point me paraît important car il permet au patient de s’approprier pleinement son R.E. Et d’éviter ainsi des résistances quant aux messages que celui‑ci transmet. Le patient ne peut pas se réfugier derrière : « c’est votre image ; ou votre intervention qui a fait que … etc ». Il s’agit vraiment, à ses yeux, de son expérience, de ses images, avec lesquelles il a à se colleter. C’est cette même idée qui explique que je ne propose presque jamais d’ascension ou de descente, un peu artificiellement induites. Et que je ne suggère que très rarement un mouvement précis je peux proposer qu’il y ait une action, par exemple, mais sans déterminer laquelle. Certaines suggestions se référant au Conte dérogent cependant à cette règle. Ainsi il m’arrive d’évoquer le monde du Conte en disant par exemple : « Dans les Contes, parfois le héros parle avec les animaux » si je veux suggérer qu’un dialogue avec tel animal rencontré en R.E. est envisageable.

 

Au total mes interventions ont pour but de permettre au patient d’accéder pleinement à l’expérience R.E. Elles ressemblent un peu à ce qu’on dit de l’animation de groupe : directive sur la forme, non directive sur le fond. Directives sur la mise en place de l’emballage, non directives sur ce que le patient découvre à l’intérieur.