AU NIVEAU DU VÉCU
Freud a été très explicite, même si certains de ces successeurs l’ont été moins sur ce sujet : tout le système du refoulement, et ses conséquences névrotiques, est basé autour d’une seule idée « empêcher le surgissement de l’affect » c’est à dire du vécu, et particulièrement de l’émotion.
L’affect, qui est une énergie, n’est pas refoulé en tant que tel. Il est réprimé et ceci principalement grâce au refoulement de la représentation qui pourrait lui permettre de s’exprimer (c’est à dire à l’oubli, à la disparition du paysage psychique). De même que l’énergie électrique a besoin de fils conducteurs pour « s’exprimer » et devenir visible, utilisable, de même l’affect a besoin d’être visualisé, représenté, d’avoir un support d’images psychiques pour pouvoir être exprimé.
S’il ne peut s’exprimer, que se passe-t-il ? Cette énergie réprimée reste dans le corps, en quête d’une représentation psychique qui lui permette de prendre forme. Elle stagne. Elle cherche une voie d’écoulement. Elle met la pression sans pouvoir sortir. C’est la cocotte-minute. Et elle finit par amener divers types de pathologies, les trois principales étant :
- la somatisation (on a un organe malade qui draine en partie cette énergie réprimée);
- la projection (on voit chez les autres ce qu’on ne veut pas voir en soi. Ex. : si je réprime ma colère, j’ai l’impression que les autres sont tous très agressifs);
· la confusion (occupé à réprimer mes affects, mon vécu, je finis par ne plus savoir ce que je sens ni même ce que je suis).
L’affect, c’est le vécu
On voit donc l’importance d’être en contact avec ses affects. Et on va le comprendre encore plus clairement lorsqu’on sait que l’affect n’est autre que « le vécu ». Et que ce vécu est constitué de deux éléments fondamentaux : le sentiment et les émotions.
Le sentiment
C’est la boussole, c’est la polarisation, celle qui donne un axe à notre vie en indiquant le pôle plus et le pôle moins. Le sentiment, c’est sentir où se trouve « ce qui est bon pour moi et ce qui n’est pas bon pour moi », ce que j’aime et ce que je déteste, ce qui me donne du plaisir et ce qui m’amène du déplaisir, ce qui me dégoûte et ce qui m’attire, etc..
Ce sentiment est relié, pour la psychologie humaniste (Rogers) à notre Soi central, porteur du projet de vie qui nous est spécifique. Une partie de moi sait ce qui est l’axe de ma vie et ce qui est bon pour ma réalisation personnelle. Et cette partie me sert de boussole si je ne suis pas coupé de mon sentiment, de mon vécu, de mes affects.
Les émotions
Les émotions sont, elles aussi, liées à l’axe central, non pas d’une manière directe comme le sentiment, mais d’une manière indirecte : elles m’indiquent que quelque chose est en train de me faire dévier ou risque de me dévier de mon axe.
Par exemple :
la Colère : quelqu’un où quelque chose se met en travers
la Tristesse : je suis blessé, je perds un lien important
la Peur : je risque d’être attaqué ou blessé
la Joie : je me réalise, ceci est bien en accord avec mon désir.
L’émotion est donc, elle aussi, une indication qui me permet de revenir vers mon axe. Elle peut cependant être trompeuse dans certains cas. Par exemple quand une seule émotion est toujours prioritaire d’expression à la place des autres émotions. Ce qui revient à dire que je risque alors de me leurrer sur mon vécu émotionnel : c’est que je ne suis pas vraiment en contact avec la variété de mes émotions.
Pourquoi réprime-t-on l’affect ?
Le problème des opposés
Il est difficile d’admettre en soi des vécus incompatibles avec les vécus majoritaires. On refoule parce que ça ne colle pas avec la vision que nous avons de nous-même, de notre identité. Exemple : que faire de ma haine, ou de mes désirs de mort, qui peuvent surgir à certains moments donnés, envers mon enfant adoré et aimé ?
Si je refoule, si je réprime, je vais être hanté sans le savoir par ceci. D’autant que dans la cocotte-minute il y a surchauffe imaginaire inconsciente : je vais imaginer inconsciemment que ces énergies négatives vont me conduire à de terribles extrémités. Si, au contraire, je peux accepter en moi et « contenir » le choc des opposés alors je vais pouvoir mettre cette émotion au travail, à mon service. Et par exemple apercevoir que cette haine me signale que j’ai besoin de temps pour souffler, pour me retrouver moi- même, qu’il est temps de me défusionner un peu de cet enfant, etc..
La question du contenant psychique
Une autre raison qui nous conduit à réprimer nos affects c’est la peur de devenir fou, la peur d’être débordé par l’émotion, la peur de « craquer ». Que veut dire ce mot ? C’est la peur que le contenant psychique se déchire, craque et laisse sortir l’intérieur ou entrer l’extérieur. Mais ceci sera l’objet d’un autre article.
La reformulation du vécu
À la lumière de tout cela, vous pouvez commencer à apercevoir pourquoi il est si important que l’écoutant ait pour priorité la reformulation du vécu.
L’écoutant à pour tâche de suivre les moindres modulations du vécu. En effet l’émotion cachée derrière les faits (organisés par le filtre perceptif) ou bien l’émotion cachée derrière l’émotion stéréotypée habituelle (ex. : la tristesse qui voudrait percer sous la colère) cette émotion cachée cherche à s’exprimer. Elle est en filigrane en permanence, mais elle est habituellement négligée par la personne qui en est porteuse, même si celle-ci l’exprime.
L’écoutant permet ainsi à l’écouté de reprendre contact avec ses affects variés et contradictoires. Et donc de retrouver l’axe de son Soi, marqué par son sentiment propre.
En conclusion
La stricte reformulation du vécu va bien plus loin qu’on ne le croit. Elle permet en effet à l’écouté de découvrir peu à peu tout un autre contact avec ses affects, avec son vécu, avec sa boussole interne. Et au bout du compte de devenir « moins névrosé ».
Par ailleurs plusieurs conditions requises lors des E.E.P., tels que l’acceptation inconditionnelle positive, la rigueur du cadre (horaire, procédures) permettent la reconstitution, le re-tissage du sac psychique contenant. Nous avons là une autre dimension fondamentale de la pratique G.E.P.
Et enfin l’accompagnement du négatif et le refus de vouloir faire changer l’autre mobilise d’une manière superbement élégante (car avec un minimum de moyens) les forces de changement.
Tout ceci sera évoqué plus longuement dans d’autres articles pour le GEP.