Attention changement !

Le 2 novembre 2023

Exemple type :

 

Monsieur A., 33 ans, profession libérale, intelligent et doué d’une capacité d’insight incontestable est en cure analytique rêve-éveillé depuis un an et demi. Il vient de toucher du doigt, par l’intermédiaire d’un rêve-éveillé (R.E.) intensément vécu, un des fantasmes centraux concernant son homosexualité inconsciente. La séance apparaît avoir été riche et éclairante. A l’entretien suivant, Monsieur A. se plaint : les séances sont vides, inutiles, ennuyeuses, il a vraiment le sentiment de piétiner, au point qu’il se demande si cette analyse va lui servir véritablement à quelque chose, etc. Il lui faudra ensuite un certain temps de «résistance» et d’immobilisme avant de métaboliser peu à peu cette fameuse séance et la richesse de son contenu.

 

Ce mouvement pendulaire où une avancée importante est suivie d’une phase de recul me semble se retrouver continûment, dans toutes les cures analytiques, avec tous les types de pathologie. La longueur et l’intensité de la phase de recul étant toutefois variables et significatives soit de la lourdeur de la pathologie en question, soit de la force de l’avancée précédente.

 

Ceci est une constatation clinique telle qu’on pourrait presque en tirer la loi suivante « Tout mouvement de changement ne peut donner lieu à une nouvelle forme stable issue’ de lui, qu’à condition d’avoir été combattu et refusé durant un certain temps ».

 

Probablement durant le temps nécessaire à un travail de métabolisation intrapsychique. Ce qui évidemment n’apparaît paradoxal que lorsque ce changement est appelé de tous les voeux, désiré comme un bien ardemment positif, et… pourtant activement combattu quand il commence à se manifester.

 

Cette loi, cette constatation clinique, amène alors les interrogations suivantes : pourquoi en est‑il ainsi ? Et qu’est‑ce que ce temps de métabolisation intrapsychique ?

DEUX HYPOTHESES

 

 

Face à ces questions, j’esquisserai tout d’abord les deux hypothèses suivantes :

 

1)   Dans une perspective topique, je pense que les frontières entre les espaces psychiques ne sont fonctionnelles qu’à condition d’être semi-poreuses, permettant une circulation osmotique d’un côté à l’autre. « Osmose: passage de l’eau, des ions, et des molécules à travers les membranes semi-perméables qui séparent deux solutions d’inégale concentration ».

 

Suivant le modèle psychanalytique auquel on adhère, on trouvera un nombre plus ou moins grand de ces frontières. En ce qui me concerne, je pense que l’individu est un système semi-poreux et je dénombrerai les frontières suivantes :

 

  •    n° 1 entre la mentalité groupale ambiante et le Conscient ;
  •    n° 2 entre le Conscient et le Préconscient ;
  •    n° 3 entre le PréCs et l’Ics ;
  •    n° 4 entre l’Ics personnel et l’Ics collectif.

 

Il s’agit là, bien entendu, d’un schéma succinct, auquel il faudrait ajouter les frontières «latérales» et la troisième dimension pour le rendre plus pertinent. Mais tel quel, il peut susciter la réflexion. Ainsi, il me semble qu’on pourrait esquisser une psychopathologie basée sur la non-fonctionnalité de certaines de ces frontières (trop imperméables ou trop poreuses). Et je laisse ici au lecteur le soin d’imaginer le type de pathologie liée, par exemple, à la rigidification de la frontière n° 2, ou de la n° 2 et de la n° 3, etc.

 

2)   Chaque espace psychique est un lieu de contention des positions différentes issues de l’osmose à chacune des deux frontières qui le bornent.

 

Dans la cure analytique, individuelle, l’espace le plus concerné est le PréCs, ses deux frontières (n° 2 et n° 3) étant constamment travaillées par le dispositif analytique.

 

Il est donc particulièrement important, pour la survenue et la stabilisation de changements au cours de l’analyse, que le Préconscient puisse jouer fonctionnellement son rôle de conteneur. C’est autour de cette question que s’articuleront les résistances (une des deux frontières s’imperméabilise), les acting (une frontière rigide craque), le travail de perlaboration (l’accompagnement du mouvement osmotique), etc.

 

Ce modèle permet de retrouver les préceptes techniques en termes d’attention portée à la « fonctionnalité osmotique » des frontières intrapsychiques. L’interprétation sauvage, par exemple, serait un franchissement intempestif et brutal ; alors que l’interprétation adéquate consisterait à attendre et/ou préparer une concentration importante sur un côté de la membrane puis à accompagner et favoriser le mouvement osmotique, etc.

 

Ainsi ces deux hypothèses amèneraient un début d’éclairage en réponse aux questions posées plus haut. A cette lumière la « résistance au changement » serait, habituellement, l’expression d’une nécessité fonctionnelle… à respecter, la nécessité d’un temps de passage osmotique, sans fracture de la membrane frontière. Certes cette résistance peut aussi être pathologique ; par exemple dans les cas de frontières trop hermétiques (névrose de caractère, frontières 1 et 2). Et, par contre, lorsque certaines personnalités donnent l’impression d’une grande flexibilité, on peut supposer (comme dans le cas de la suggestibilité hystérique) que les frontières 1 et 2 sont trop poreuses cependant qu’une frontière 3 trop imperméable évite la désorganisation : ici, l’apparence de changements multiples et variés est compensée par la permanence rigide des fantasmes inconscients préservés. A défaut d’une fonctionnalité des diverses frontières, c’est l’ensemble de la personnalité qui s’est constitué sur un mode où une partie est consacrée au changement et l’autre au maintien conservateur.

PRECONSCIENT ET REVE‑EVEILLE

 

Et donc, pour en revenir aux changements favorisés ou instaurés par la cure analytique, on peut dire que le Préconscient est l’espace de la première topique qui va permettre la contention et la métabolisation progressive de positions opposées, voire contradictoires, en provenance du Cs et de l’Ics. C’est là que se traitera la « coincidentia oppositorum. » (Jung), l’affrontement entre deux logiques opposées, le paradoxe si insupportable pour les processus conscients. J. Guillaumin (5, p. 240) parle à ce propos d’un « espace transitionnel interne » au sujet, et évoque « les capacités fonctionnelles de son préconscient, c’est-à-dire de celle de ses organisations intrapsychiques qui assure en lui les échanges et la confrontation mesurée entre ses pensée conscientes et ses positions et désirs inconscients ».

 

Le Préconscient aurait ainsi une fonction-sas et cette fonction suppose que toute nouvelle représentation y séjourne un certain temps avant de pouvoir être intégrée au niveau conscient. C’est aussi peut-être le lieu où se raccrocheraient représentations et affects.

 

Il est très intéressant de noter comment réagissent certains sujets lors de cette période-sas : alors que tout manifeste qu’un changement est en train d’intervenir, qu’il est même déjà intervenu (dans leurs comportements, leurs relations, leurs fantasmes, leurs rêves), ils restent les seuls à dénier celui-ci. Ce n’est qu’après un temps suffisant, et à condition que leur environnement n’insiste pas trop pour souligner ces changements, qu’ils peuvent commencer à les « découvrir » et à les prendre à leur compte, peu à peu. Pour les accepter, enfin, pleinement et consciemment.

 

Sous cet angle, la non-fonctionnalité (J. Guillaumin), ou le désinvestissement (P. Marty), ou le sous-développement (D. Anzieu) du Préconscient ont pu apparaître comme une clé significative pour la compréhension et le traitement de nombreux troubles (psychosomatique, dépression, pathologies caractérielles ou narcissiques, sujets « en crise»).

 

Or l’analyse rêve-éveillé, avec sa procédure si spécifique, semble particulièrement apte à permettre à l’analysant une restauration de son PréCs d’une part, et d’autre part de la fonctionnalité osmotique des frontières qui encadrent celui-ci. Je rappelle, à ce propos, quelques points saillants notés par les divers auteurs du GIREP (3 ; 7).

 

  1. a) Le rêve-éveillé analytique, effectué en séance par l’analysant, par l’intermédiaire d’une modalité technique particulière, n’a rien à voir avec la rêverie diurne compensatoire, ni non plus avec une simple « association en images». Il s’agit plutôt d’une expérience particulière dans laquelle la pensée en images draine des vécus archaïques, perçus et nommés par le Moi conscient (qui verbalise à l’analyste) et fortement marqués par le transfert.

 

L’intrication et le juste dosage de ce que J. Lévine (7, p. 188) nomme les 2 Je de l’analysant semble bien décrire la coexistence de deux logiques contradictoires à l’intérieur de l’espace conteneur qu’est le rêve-éveillé.

 

  1. b) Cet espace du rêve-éveillé est délimité il y a un début et une fin à cette expérience, elle-même insérée à l’intérieur du cadre analytique général, et reprise dans le travail associatif.

 

Le travail sur ces frontières, sur ce début et cette fin, me paraît tout à fait métaphorique du travail sur les frontières du PréCs. Comment entrer dans l’état rêve-éveillé (c’est-à-dire un état comparé par G. Maurey (3) à l’onirisme délirant), où des représentations fantasmatiques très chargées de sens inconscient vont être accueillies ? Comment sortir de l’état R.E. sans pour autant mettre en place aussitôt un clivage ou une isolation de ce qui vient d’être vu, vécu, nommé ? Comment faire circuler le sens de l’intérieur du R.E. produit, à l’extérieur de celui-ci (c’est-à-dire au reste de la vie psychique du sujet), et réciproquement ?

 

Toutes ces questions techniques reçoivent des réponses fortement dépendantes de l’option théorique que l’on adopte à propos de l’expérience du rêver-éveillé en séance. Rappelons que cinquante ans après sa mise en forme (par R. Desoille en 1938) « la nature exacte (du R.E.) est encore indécise » (G. Maurey, 1985, p. 43). Ce qui laisse heureusement de riches développements théoriques à faire à ce propos.

L’ESPACE DU CONFLIT

 

Et par exemple, autre aspect, le R.E. se trouve être lui-même, comme le Préconscient, et comme l’espace transitionnel winnicottien, un espace du paradoxe. Il s’agit d’y être, en effet, à la fois actif et passif ; créatif, mais aussi traversé par des représentations non choisies ; vibrant d’affects qui donnent une réalité psychique très forte à ce qui est vu et vécu, mais en même temps décrivant ceci à l’analyste et ayant donc la distance nécessaire pour savoir que c’est imaginaire ; adulte et enfant dans le même instant. De ce fait, l’expérience du rêver-éveillé, indépendamment du travail associatif qui la suivra, est déjà porteuse en elle-même d’une accoutumance au paradoxe, à des situations confuses dont le sujet découvre qu’elles ne le font pas éclater, à des affects forts et non déchargés dans l’agir. Cette expérience prépare ainsi d’une manière très nette ce que E. Bribing et D. Lagache ont appelé « les mécanismes de dégagement » (6, p. 237) ; et ceci, c’est mon hypothèse, parce qu’elle est complètement similaire au fonctionnement d’un PréCs opérationnel.

 

On pense, bien sûr, alors à la thèse de l’Institut de Psychosomatique qui a choisi l’option de « prêter son préconscient », son imaginaire et des représentations au patient. Alors que, en analyse R.E., la mise en place technique, c’est-à-dire adéquate et à la bonne distance, de l’expérience du rêver-éveillé permet justement à l’analysant de redécouvrir peu à peu par lui-même son propre fonctionnement préconscient. Ce que l’analyste R.E. prête, c’est un cadre spécifique (celui du R.E.) lui-même contenu à l’intérieur du cadre plus général de la cure. Cette double sécurité assure aux patients psychosomatiques ou états-limites, une possibilité d’approche d’un espace psychique et d’un imaginaire capables, enfin, de supporter, de contenir, de traiter des tensions contradictoires.

 

On voit qu’une partie du travail interprétatif de l’analyste R.E. portera donc spécialement sur les frontières de ce « cadre dans le cadre » qu’est le rêve‑éveillé. C’est‑à‑dire sur les défenses appliquées par l’analysant à l’une des deux frontières : par exemple les attaques qu’il fera pour éviter de laisser survenir des représentations trop révélatrices de scénarios fantasmatiques inconscients (problématique hystérique : R.E. hâchés par des bouffées d’affects difficulté à laisser s’organiser des ensembles scéniques, frontière n° 3 rigide), ou bien les attaques pour éviter de reprendre à son compte le contenu découvert en R.E. (problématique obsessionnelle : R.E. aisés, peu affectivés, et isolés aussitôt produits, frontière n° 2 rigide).

 

Une courte vignette clinique illustrera ceci, ainsi que le travail que l’analyste R.E. doit faire à propos de ces frontières. Madame B., 23 ans, d’un faible niveau socio-culturel, vient après une T.S. survenue à l’occasion d’un événement mineur (une petite altercation avec son mari). Elle n’a pratiquement pas de possibilité d’insight, ni de fantasmatisation. On pourrait penser à une structure psychosomatique tellement son discours est opératoire, mais elle présente cependant d’autres symptômes du type nettoyage compulsif, pensée ruminatoire qui essaie de rectifier magiquement chaque événement frustrant, et style obsessionnel. Son anamnèse laisse penser que les attouchements incestueux que son frère réalisait sur elle, quand il avait 18 ans et elle-même 11 ans, et qui se sont prolongés durant de nombreuses années ont, semble-t-il, contribué à piéger son imaginaire dans une sorte de sidération faite de culpabilité, d’excitation, et de vécu de fracture.

 

L’analyse R.E. établie avec elle, se révèlera très fructueuse mais au prix de deux passages délicats tous deux situés à des périodes de changement intenses. Au bout de la première année, elle a évolué d’une manière telle que son environnement le lui souligne fortement, ce qui la met très mal à l’aise, elle qui affirme ne pas changer du tout. Une mini T.S. lui permet de montrer à tous et d’abord à moi-même que rien n’a changé. Ceci fait, elle peut alors accepter, reconnaître et intégrer ces changements ! Au bout de deux ans et demi de cure, même scénario augmenté d’un cran : les changements sont bien plus nets et bien plus profonds, mais elle passe alors pendant quelques jours par un état confusionnel. Après quoi elle intègre pleinement ces changements.

 

Que s’est-il passé ? Les R.E. effectués par elle, très régulièrement, ont permis un drainage de sa problématique qui s’est désormais positionnée principalement dans cet espace transférentiel particulier et un réaménagement progressif de son Préconscient. Mais, c’est là qu’était la difficulté, la frontière entre PréCs et Cs restait rigide et hermétique, ce qui était bien symbolisé par sa difficulté dans les séances hors R.E. à récupérer dans son discours opératoire une partie de cette autre elle-même mise en scène dans les R.E.

 

L’analyse R.E. fonctionnait à deux vitesses. Le rythme régulier des R.E. réalisés non pas en fonction du feeling, mais suivant un tempo obsessionnel difficile à assouplir, amenait une charge de PréCs importante. Alors que le discours lors des autres séances restait au même niveau énergétique, protégé par une frontière non osmotique. La différence tensionnelle a amené les deux épisodes cités, qui représentaient ainsi un forçage de cette frontière trop hermétique ; le forçage aurait été économisé si j’avais pu, à l’époque, interpréter d’une manière plus adéquate la défense vis-à-vis de ces représentations fortement significatives, et le transfert fraternel originant ce clivage ; interprétation qui aurait rendu plus poreuse la frontière.

ANALYSE R.E. ET PARADOXE

 

On peut noter cependant, pour en revenir à l’analyse R.E. en général, que cette possibilité de fonctionnement à deux vitesses est une des richesses de ce type de pratique sous l’angle du changement qui est notre axe dans cet article. Le sujet peut réguler ses périodes sas exactement comme il en a besoin. Les forces contradictoires (l’une poussant au changement, l’autre au maintien conservateur) peuvent être déplacées sur les deux scènes que propose l’analyste : la scène du rêver-éveillé, la scène du travail associatif hors R.E.

 

Ces deux scènes emboîtées représentent parfois une structure implicitement paradoxale: l’analyste et le cadre analytique peuvent dans certains cas être perçus par l’analysant comme refusant de désirer le changement et porteurs des forces homéostatiques, cependant que le R.E. avec l’actualisation des désirs, des interdits, des motions pulsionnelles, est porteur d’un levain de mouvement, symbolisé d’ailleurs par la mise en action du corps imaginaire dans l’espace créé là. Bien entendu cependant, cette structure n’est implicitement paradoxale qu’une fois bien établie et fonctionnant d’une manière pertinente. On dérive ici sur le thème de la mise en place de la cure analytique rêve-éveillé, qui ne diffère pas, dans son fond, des questions soulevées dans le début d’une psychanalyse classique pour l’établissement du fonctionnement psychique et communicationnel lié à la règle fondamentale (4 p. 419, 8 p. 32).

 

Une dernière vignette clinique pourra éclairer cette structure implicitement paradoxale. Madame C., 38 ans, travailleuse sociale, est née dans une famille très nombreuse et s’est vécue comme une chose, bien traitée physiologiquement par sa mère, mais entourée d’indifférence. Elle a trouvé des éléments d’identité et de regard des parents sur elle-même grâce à une sérieuse encoprésie jusqu’à l’âge de 7 ans. Etant l’emmerdante de la famille, elle a stabilisé son identité autour de cet axe. Elle présente au bout de deux ans de cure le tableau-type d’une réaction thérapeutique négative : chaque «bonne» séance est suivie d’une aggravation, plus l’analyse avance, plus Madame C. va mal, etc. De nombreuses surdéterminations se trouvent là : me faire éprouver la même déception que ce qu’elle a subie elle-même, attaquer envieusement son/mon travail comme elle attaquait imaginairement le sein maternel, maintenir le procès interminable entretenu envers la mère indifférente et affirmer éternellement le manque, etc.

 

Ce qui a permis de sortir de cette situation thérapeutique négative a été non pas l’interprétation réitérée sur ces divers éléments, mais une constatation-interprétative que je lui ai faite : « Vous avez un destin de malheur ! », et que j’ai maintenue durant un temps suffisant malgré les immédiates améliorations qu’elle s’est mise alors à m’amener puis à vivre sur la scène imaginaire du R.E. Je lui disais en somme implicitement : « J’ai compris et j’en suis navré pour vous, votre destin est d’être malheureuse, je n’y peux rien ». En prenant acte ainsi de sa « revendication éternelle », de son fantasme primordial et surtout en ne cherchant pas en quoi que ce soit à vouloir le faire changer, je lui permettais de commencer à s’en distancier. Le R.E. lui servit alors pour explorer, timidement et peu à peu, une relation positive avec une image de bonne mère lentement restaurée et stabilisée.

 

Cette structure du cadre de l’analyse rêve-éveillé, tout en restant analytique, pouvait être lue aussi comme structure paradoxale proche de celle préconisée par l’approche systémique…

 

En résumé, l’analyse rêve-éveillé semble susceptible de promouvoir le changement grâce à diverses caractéristiques dont les deux suivantes soulignées dans cet article :

 

‑ sa faculté, par l’intermédiaire de l’expérience du R.E., de restaurer le Préconscient et la fonctionnalité « osmotique » des frontières de celui-ci (ni trop poreuses, ni trop imperméables).

 

‑ La position d’intégration paradoxale des forces de non-changement associées aux forces de changement grâce à 1) la structure paradoxale du R.E. lui-même, 2) la structure éventuellement paradoxale du double cadre et du mouvement à deux vitesses qu’il autorise.

 

Il y a, par ailleurs, d’autres sources de changement, non développées ici mais repérées dans la littérature du GIREP qui tiennent à ce qui se déroule à l’intérieur même du scénario-rêve-éveillé : franchissement de seuils, réengagements modificateurs, inauguration de nouvelles images de soi, etc. J’y ajouterai la faculté d’internalisation du « locus of control »  (2), ce concept autour duquel on a beaucoup écrit aux USA depuis sa mise en forme en 1966 par Rotter.

L’ENERGIE DU NON, L’ENERGIE DU OUI

 

Restent, en conclusion, quelques questions. Freud a toujours axé sa pensée théorique autour du conflit entre des forces opposées : activité-passivité, Eros-Thanatos, etc. Il semble bien qu’une paire d’opposés toujours présente soit la force poussant au non-changement, c’est-à-dire au maintien du statu-quo, et la force poussant au changement. Tous les développements des thérapeutes systémiques peuvent d’ailleurs se lire avec cette perspective. Je citerai là principalement l’école italienne et M. Andolfi (1).

 

Je pense qu’on pourrait appeler cela l’énergie du Non et l’énergie du Oui. L’énergie du Oui serait liée par exemple à tous les phénomènes d’identification et d’amour : énergie qui sert à l’hynotisé par amour de l’hypnotiseur à changer sa personnalité ou à créer des manifestations psychosomatiques ; énergie d’une foule galvanisée ; aller jusqu’à mourir pour un idéal, de grandes valeurs, un homme mythifié, etc. L’énergie du Non serait celle qui est à la base de toutes les oppositions. Ces forces de rébellion qui permettent parfois des changements miraculeux (exemple récent, entendu à la radio : Yves Navarre formellement condamné par le pronostic médical à ne plus pouvoir parler, écrire, etc. et qui se révoltant… devient un écrivain prolifique et brillant). On pourrait multiplier les exemples de ce type et tous les écrits systémiques regorgent de changements, d’aspect parfois très spectaculaire, inaugurés par une famille ou un sujet en réaction contre le thérapeute.

 

Cette énergie du Non semble très profondément inscrite en nous. Il est vrai qu’elle ponctue fortement la psychogenèse. Deux des « organisateurs » de Spitz sont des refus : l’angoisse du 8e mois qui se manifeste en réalité par un refus de l’étranger (l’enfant ferme les yeux ou tourne la tête, l’angoisse survient seulement si l’étranger franchit ces limites et impose sa présence) ; la phase du Non à un an et demi, relayée à l’adolescence par la nécessité de se poser en s’opposant. Et l’éducation sphinctérienne dans notre culture renforce encore cette énergie du non, du sphincter fermé.

 

J’ai l’impression que l’approche analytique s’efforce de donner prise le moins possible à cette énergie du Non, cette force d’opposition, de résistance. Silence de l’analyste, analyse du transfert négatif, prudence de l’interprétation, passage par la métaphore sont diverses mesures dont une des conséquences est d’éviter que l’analysant devienne opposant. Cependant que l’énergie du Oui (« alliance de travail », introjection de l’analyste ou du processus analytique, etc.) est plutôt favorisée. Je terminerai donc sur ces questions : y a-t-il là une nécessité, liée à la procédure analytique ? ou bien une difficulté à penser théoriquement, et donc techniquement, l’aspect positif de cette énergie du Non, et une tendance corrélative à connoter négativement les « résistances » de l’analysant et particulièrement sa « résistance au changement » ?

 

Jean-Marc HENRIOT

Juin 1988

BIBLIOGRAPHIE

1. M. ANDOLFI. 1977 : La thérapie avec la famille, ESF, 1982.

2. N. DUBOIS. La psychologie du contrôle, 1987 Presses Universitaires de Grenoble.

3. N. FABRE/G. MAUREY. Le Rêve-éveillé analytique, 1985, Privat.

4. R.R. GREENSON. 1967 : Technique et pratique de la psychanalyse, 1977, PUF.

5. J. GUILLAUMIN. Pour une méthodologie générale des recherches sur les crises, in « Crise, rupture et dépassement », 1979, Dunod.

6. J. LAPLANCHE/J. B. PONTALIS. Vocabulaire de la psychanalyse, 1967, PUF.

7. J. LAUNAY/J. LEVINE/G. MAUREY. Le Rêve éveillé dirigé et l’inconscient, 1975, Mardaga, n°54.

8. D. WIDLOCHER, Métapsychologie, du sens, 1986, PUF.

 

RESUME : ATTENTION, CHANGEMENT ! par Jean-Marc HENRIOT.

 

La résistance au changement, rencontrée dans toutes les cures, n’est pas toujours à comprendre négativement. Elle peut ne refléter que le bon fonctionnernent des frontières semi‑poreuses qui encadrent le Préconscient.

 

Le Préconscient est l’espace psychique qui permet la contention et le traitement de motions opposées. La restauration de son fonctionnement est l’objectif prioritaire dans certaines psychopathologies. L’analyse rêve‑éveillé représente dans ces cas une approche particulièrement pertinente, en particulier du fait de la structure même de l’expérience du rêve‑éveillé en séance.

 

Quelques vignettes cliniques éclairent ces thèses et commencent à poser le problème de la place du paradoxe dans la cure, ainsi que celui de la gestion de «l’énergie du Non», l’énergie de l’opposition.

 

 

SUMMARY : CAUTION, CHANGE IN PROGRESS ! by Jean‑Marc HENRIOT

 

The resistance to change, met all treatments, must not always be negatively understood. It may reflect only the good functioning of the semi‑porous fronteers which frame the Preconscious.

 

The Preconscious is the psychic space which permits the contention and treatment of opposed motions. The restoration of its functioning is the major objective in certain psychopathologies. The wakendream analysis represents in such cases a particularly pertinent approach, specifically because of the very structure of the experience of the waken‑dream during the session.

 

A few clinical illustration clarify these theses and start to raise the problem of the place of the paradox in the treatment as well as that of the management of the « energy of the No», i.e. the energy of the opposition.

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